François Hollande craint l’effet boomerang syrien

Ironie de l’histoire. Il avait fallu le retour des journalistes otages en Syrie pour que le gouvernement français prenne vraiment conscience de l’importance et de la dangerosité croissante de l’attirance qu’exerce le conflit syrien sur des jeunes français. Le chiffre de 500 djihadistes français lancé par Laurent Fabius à l’opinion publique était destiné à la frapper d’effroi. Le plan de Bernard Cazeneuve, le tout nouveau ministre de l’intérieur, pour lutter contre la multiplication des djihadistes français en Syrie et éventuellement anticiper leur nuisance est destiné à la rassurer.

Par Mustapha Tossa

Cette prise de conscience gouvernementale subite et aiguë ne manque pas de provoquer un étrange malaise. Le phénomène des jeunes français séduits par la guerre en Syrie était connu de tous les spécialistes du dossier. Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, ne cessait d’en parler devant le parlement chaque fois que l’occasion se présentait. À relire ses discours aujourd’hui, si la gravité du danger était soulignée avec l’emphase sécuritaire nécessaire, le traitement proposé se noyait entre la réponse européenne coordonnée et l’indispensable solution internationale à la crise syrienne.

Aujourd’hui, le tournant pris par le gouvernement de. François Hollande est cette volonté affichée d’assécher tous les circuits qui nourrissent les filières françaises du djihâd en Syrie. Cela commence par la traque sans merci de tous les offices de recrutement qui agissent sur le sol français. Nouveauté dans cette démarche, la sécurité française se met à traquer le cyber djihad, partant de l’inquiétant constat que tout ou presque se passe sur l’insaisissable toile. Le constat est fait aujourd’hui que si pour les crises afghane, tchétchène, irakienne ou algérienne, les mosquées clandestines étaient le principal pôle de recrutement de ces vocations djihadistes, aujourd’hui l’Internet et ses multiples outils semblent avoir remplacé la magie de l’imam, laveur de cerveaux.

Cette brusque prise de conscience et l’arsenal judiciaire qui l’accompagne pour protéger certaines jeunes français de la dérive syrienne aura du mal à faire oublier que pendant de longs mois, la France a vécu une tolérance passive à l’égard de ce phénomène. Les recruteurs au djihad en Syrie agissaient sur le territoire français presque comme une traditionnelle agence de voyage destinée à procurer un déplacement avec frisson et coup de feu au programme à la frontière entre la Turquie et la Syrie.

Il faut dire que l’ambiance était à la harangue diplomatique guerrière. De tous les chefs d’Etat occidentaux, François Hollande fut celui qui a le plus donné à la tonalité guerrière en Syrie un relief militant. Même au sein du grand débat qui cliva "Le groupe des amis de la Syrie" au cours de ses nombreuses rencontres à Paris, Marrakech, Tunis, Istanbul ou Genève, sur la nécessité d’armer l’opposition syrienne, Le président français ne brilla pas par son opposition radicale à cet armement.

Sans doute influencé par le précédent libyen et par une proximité avec le Qatar et l’Arabie saoudite, deux pays physiquement engagés dans le démantèlement du régime de Bachar al Assad, la diplomatie française est tombée pieds et poings liés dans un processus d’idéalisation de l’opposition syrienne. Cette posture n’était pas responsable de la multiplication de vocations djihadistes chez des jeunes français, mais elle créa une atmosphère favorable au travail des recruteurs et aux laveurs de cerveaux.

Parallèlement à la nouvelle guerre française contre les filières djihadistes, ce tournant de l’approche française suscite nouvelles réflexions. Un constat et une interrogation. Le Constat d’abord est que l’islam n’est pas le seul moteur de radicalisation de certains jeunes français. De nombreuses enquêtes ont montré que les candidats au coup de feu en Syrie n’étaient point ces rats de mosquées ou de bibliothèques religieuse fondamentalistes. D’autres processus d’auto radicalisation sont à l’œuvre imposant à l’ensemble de l’appareil sécuritaire français de revoir son logiciel et ses critères d’approche.

Quant à l’interrogation, elle touche la nouvelle politique française à l’égard de la crise syrienne. Assécher les filières djihadistes n’est-ce pas en fin de compte faire le jeu de Bachar al Assad qui depuis le début du conflit a fait de sa lutte contre l’opposition une guerre ouverte contre les groupes terroristes dont le seul objectif est d’installer un état islamique à Damas.

Par crainte de cet effet boomerang, la diplomatie française semble obligée de se convertir à la recherche d’une solution négociée et transitoire avec le régime de Bachar al Assad. Le changement est d’autant plus remarqué qu’elle a passé de longs mois à faire de son départ une condition incontournable avant d’imaginer la moindre solution à la crise syrienne. Signe des temps qui ne trompent pas, dans l’interview qu’il a accordée à la radio Europe 1 à l’occasion de l’arrivée des otages, François Hollande a soigneusement évité de reprendre l’antienne de la diplomatie française sur le départ de Bachar al Assad et qui distinguait la France de la prudence américaine et britannique et du réalisme allemand.

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