Fleury-Mérogis, une « poudrière » saturée

Avec un taux de surpopulation carcérale de 150%, la plus grande maison d’arrêt d’Europe est loin d’être un cas isolé en Île-de-France : Fresnes dépasse les 200%.

source AFP

Plus de 4 500 détenus pour 3 036 places et des surveillants au bord de l’épuisement : bienvenue à Fleury-Mérogis. Au mois de juin, la direction a lancé un cri d’alarme. Côté syndicats, c’est la crainte d’une "poudrière prête à péter à tout moment". Avec un taux de surpopulation carcérale allant jusqu’à 150%, la plus grande maison d’arrêt d’Europe est loin d’être un cas isolé en Île-de-France, où l’établissement voisin de Fresnes dans le Val-de-Marne dépasse les 200%. Sa directrice Nadine Picquet a choisi d’alerter sa hiérarchie dans un courrier adressé le 20 juin dernier à la direction interrégionale de services pénitentiaires. Elle y évoque "une situation particulièrement inquiétante", "des quartiers arrivants saturés" rendant "les affectations, le profilage et le suivi des personnes détenues très complexe". A ce tableau noir s’ajoute l’arrivée fin avril de Salah Abdeslam, seul jihadiste encore en vie des commandos du 13 novembre, qui a mis les surveillants sous pression.

Des mots inhabituels qui font réagir. "Ce n’est pas un scoop", souligne une source judiciaire. "On a connu bien pire à la fin des années 1990", selon un membre du corps médical. C’est même du "foutage de gueule", selon un détenu, qui voit "tous les jours des gens qui entrent, et personne sortir". La directrice tente "un coup pour masquer ses propres négligences", estime même François Korber, délégué général de Robin des Lois, association de défense des détenus, rappelant les plaintes pour violences au quartier disciplinaire et la mort suspecte d’un détenu début avril. Mais pour le surveillant Arnaud Arame, délégué local de la CGT pénitentiaire, "le point de rupture est bien atteint. Fleury est une poudrière qui peut péter à tout moment". Alors qu’un moratoire sur l’encellulement individuel court jusqu’en 2019, toutes les cellules de la maison d’arrêt ont été doublées. Pour seize d’entre elles, des matelas ont été posés au sol pour y accueillir un troisième détenu.

"Yeux hagards"

Car les "quartiers arrivants" ne désemplissent pas. Mi-juin, 85 personnes ont été écrouées en un week-end, contre une grosse cinquantaine habituellement. Les détenus sont censés y rester une semaine avant d’être affectés dans une cellule dans les étages. "Actuellement, ils y restent à peine trois jours. On n’a pas le temps de les profiler, de détecter les radicalisés, on les rentre au chausse-pied", s’agace un représentant du syndicat pénitentiaire UFAP-UNSA. Résultat, "on finit par mettre ensemble des retraits de permis et d’autres qui reviennent de Syrie, (…) des fumeurs avec des non-fumeurs", ajoute-t-il.

Fleury-Mérogis pâtit également de son programme de rénovation, entamé en 2002 et censé s’achever en 2022. "Pendant les travaux, des capacités d’hébergements ont été (…) basculées d’un bâtiment sur l’autre", explique la source judiciaire. Après le grand quartier pour hommes, entièrement réhabilité, c’est au tour du centre des jeunes détenus (CJD) de bénéficier d’un coup de pinceau. Les détenus mineurs ont donc été provisoirement affectés au "bâtiment D4 (…) qui sert de variable d’ajustement pour désencombrer les autres bâtiments", selon la direction. Ces problèmes d’affectation, qui peuvent entraîner bagarres et racket, obligent les surveillants à multiplier les mutations de cellules. Des opérations chronophages et risquées auxquelles s’ajoutent les mouvements classiques: séries de parloirs, sorties en cours de promenade ou rendez-vous à l’infirmerie. A la fin de leur journée, les surveillants "sortent lessivés de leur coursive et soulagés de ne pas avoir été agressés", selon Parfait Sounouvou, de la CGT pénitentiaire. Dans certaines ailes, un surveillant peut avoir jusqu’à une centaine de détenus sous sa responsabilité et autant de sollicitations auxquelles il faut répondre. "Quand on a des demandes, ils oublient, ils disent +ouais d’accord+, ils s’en vont et ne reviennent plus parce qu’ils ne peuvent pas, ils sont débordés, ce sont des être humains", leur pardonne un autre détenu. Et d’ajouter, presque empathique : "certains, tu les vois, ils sont en sueur, ils traînent et te regardent avec les yeux hagards, comme s’ils venaient de faire un marathon".

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