Fin du monde-Mayas : les gardiens d’un autre temps

Fin du monde-Mayas : les gardiens d
Jamais les anciens Mayas n’ont annoncé que la fin du monde aurait lieu le 21 ou le 23 décembre 2012. Cette date n’apparaît dans aucun des trois livres autochtones qui nous sont parvenus et dont on situe la confection entre le XIIe et le XVe siècle (les codex de Dresde, Paris et Madrid, du nom des villes où ils sont aujourd’hui conservés). Pourtant, leur contenu montre qu’ils ont dû largement servir à prophétiser l’avenir, et la dernière page du codex de Dresde semble même représenter un déluge détruisant le monde. Cette apocalypse n’a toutefois rien à voir avec 2012. Par ailleurs, sur les milliers d’inscriptions de la période classique (300-900 apr. J.-C.) connues à ce jour, qu’elles soient sculptées sur pierre ou stuc ou bien peintes, la date en question n’apparaît qu’une seule et unique fois. Il s’agit du "monument" 6 de Tortuguero, un site modeste, aujourd’hui presque totalement détruit, situé à l’ouest de Palenque et dont l’histoire fut liée à ce grand centre.

La partie principale de la sculpture originale était une grande dalle verticale entièrement couverte d’une inscription évoquant divers épisodes de la vie d’un souverain local de la seconde moitié du VIIe siècle. De part et d’autre du sommet de cette dalle, deux petits panneaux, également couverts de glyphes, formaient un ensemble en T : l’un de ces panneaux latéraux est perdu et l’autre a été volé, mais on en possède une photographie. Et c’est justement là, sur ce dernier fragment, que l’achèvement du 13e bak’tun marquant la fin d’un grand cycle est mentionné, une mention immédiatement suivie, notons-le, du nom du nouveau cycle de bak’tun qui doit lui succéder. Le texte dit simplement : "Il adviendra le bak’tun 4 Ahaw 3 K’ank’in [en remplacement du bak’tun 4 Ahaw 8 Kumk’u]." Même si les ultimes glyphes du texte sont illisibles ou obscurs, absolument rien n’indique qu’ils se référeraient à une quelconque fin du monde. Il s’agit de la fin d’un cycle, qui n’a rien à voir avec la fin des temps !

Deux calendriers cycliques

Les anciens Mayas, comme les autres peuples de la Méso-Amérique, utilisaient couramment, c’est-à-dire en particulier dans la vie quotidienne, et de façon parallèle deux calendriers distincts. Au premier des deux, probablement le plus ancien (en usage dès 500 av. J.-C. au moins), on donne généralement le nom yucatèque (l’une des langues mayas) de tzolk’in, qui signifie "mettre en ordre les jours", mais aussi " interpréter [l’ordre] des jours". Le fait est que ce calendrier fut jadis, et est demeuré jusqu’à nos jours dans certaines communautés des Hautes Terres du Guatemala, la base la plus souvent usitée pour prédire ce qui pouvait advenir, une tâche traditionnellement assumée par des spécialistes dénommés les "gardiens des jours". Ce calendrier comprend 260 jours : un total qui résulte de la combinaison des chiffres de 1 à 13 avec 20 noms de jours, noms dont la signification n’est pas toujours claire, mais qui incluent ceux de plusieurs animaux (serpent, cerf, chien, singe, jaguar, oiseau…) ainsi que d’entités naturelles, favorables ou néfastes (nuit, maïs, mort, couteau, éclair…). La qualité de chaque jour semble dépendre moins de chacun des deux éléments composant son nom complet que de la combinaison des deux.

Parallèlement au tzolk’in, on sait que les Mayas connaissaient aussi l’année solaire (ha’b), qu’ils divisaient en 18 mois de 20 jours, soit 360, auxquels s’ajoutaient, à la fin du cycle, 5 jours sans nom et potentiellement dangereux. Dans l’année solaire, chaque jour est désigné par le nom du mois auquel il appartient accompagné des chiffres de 1 à 19, le dernier jour d’un mois étant qualifié de "fondateu " du mois suivant. Chez les Mayas (comme chez les Aztèques), chaque jour recevait son appellation conjointement dans l’un et l’autre calendrier, si bien que tout jour, du fait de sa double désignation dans ces systèmes de durée inégale, se répétait au bout de 18 980 jours (le plus petit commun multiple de 260 et 365), soit 52 années de 365 jours, ou encore 73 cycles de 260 jours. On sait qu’à la veille de la conquête espagnole les Aztèques attribuaient à ces recommencements de cycles combinés une importance sans égale puisque, pour eux, à chaque fois, le Soleil était susceptible d’arrêter sa course, c’est-à-dire de ne pas se lever le jour suivant, risquant d’entraîner du même coup la disparition de la vie sur Terre. Chez les Mayas, en revanche, ce "siècle" de 52 ans ne faisait apparemment pas l’objet d’une attention et encore moins d’une vénération particulières. Cela ne signifiait pas pour autant qu’ils se désintéressaient des fins de période, bien au contraire.

Le compte long : un temps linéaire

Au cours du dernier millénaire avant notre ère, il y a 2 500 ans au moins, peut-être d’abord chez les voisins occidentaux des Mayas, les Mixe-Zoques, puis en pays maya lui-même, on inventa et on commença à utiliser un autre compte du temps que les chercheurs ont appelé le "compte long". Son existence avait été repérée par plusieurs spécialistes dès la fin du XIXe siècle, à la fois dans le codex de Dresde et, surtout, en tête d’innombrables inscriptions de l’époque classique, sous la forme de cinq unités distinctes, affectées de chiffres qui ne dépassent jamais 20, et disposées en colonne sous un glyphe dit "introducteur".La plus petite unité, située en bas de la série graphique, est évidemment le jour (k’in, qui signifie aussi "soleil" et renvoie, de façon plus abstraite, au temps en général). À l’échelon supérieur se trouve le mois, de 20 jours (winal). L’unité suivante, dans l’ordre croissant, est connue sous le nom de tun, un mot signifiant aussi "pierre" (qui n’était d’ailleurs pas celui utilisé au Classique). L’année, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a, dans ce système, une durée de 18 mois, soit 360 jours, le multiple de 20 qui s’approche le plus des 365 jours de l’année solaire. Dans le compte long, le tun est un pivot : il englobe deux unités plus petites (le jour et le mois) et s’inscrit dans deux autres plus grandes. De fait, au-dessus du tun vient le k’atun, soit 20 tun.

Selon David Stuart, l’étymologie du terme (k’altuun "attacher la pierre") renverrait à un rituel consistant probablement à attacher – ou à envelopper -, lors d’une fin de période, les pierres – ou les stèles – représentant la période. Au-dessus du k’atun, la dernière et la plus large des unités du système du compte long est le bak’tun ou 20 k’atun (et donc 400 ans). Selon ce compte long, qui apparaît essentiellement dans toutes les inscriptions officielles du Classique des Basses Terres du Sud, concrètement de 292 à 909 apr. J.-C., toute date représente un temps écoulé depuis un point temporel d’origine. Une fois la logique du système décryptée se posait donc la question de la correspondance entre le compte long maya et notre propre calendrier. Après plusieurs conjectures, il fut établi que la date d’origine du compte long – d’une certaine façon comparable à celle de la naissance du Christ dans le calendrier grégorien et jouant, en tout cas, le même rôle – devait être le 11 août 3114 av. J.-C. Même si certains spécialistes expriment encore quelques doutes sur l’équivalence retenue, il n’y a pas à ce jour d’autre proposition solide.

Que se passe-t-il en 2012 ?

Enregistrer des événements de façon consécutive et à partir d’une date origine, cela paraît indiquer une adhésion à une certaine conception du temps linéaire, et on a beaucoup insisté sur cette apparente spécificité de la pensée maya, qui contrasterait avec le modèle adopté par les peuples du reste de la Méso-Amérique, chez qui la cyclicité domine : ainsi, les Aztèques pour qui, chaque 52 ans, le monde recommençait. Toutefois, il ne faut pas aller trop loin. L’enregistrement des événements "le long" d’une échelle temporelle qui possède un point de départ implique, certes, une part de linéarité ; mais, dans un système à unités temporelles emboîtées comme celui du compte long – voire notre propre calendrier -, il existe au minimum des fins de période qui suscitent intérêt, interrogations, voire angoisses. En réalité, l’idée de la cyclicité n’était pas du tout absente du compte long : le cycle de 13 bak’tun qui a débuté en 3114 av. J.-C. s’achèvera bien en décembre 2012, laissant la place au cycle de bak’tun suivant. Et, puisque rien ne permet de croire qu’aux yeux des Mayas le monde devrait disparaître lors de cette transition, il est assez vraisemblable qu’ils envisageaient le cycle de bak’tun prochain, d’une certaine façon comme un décalque de celui qui s’achève.

La meilleure preuve de la permanence d’une vision cyclique du temps chez les Mayas apparaît au sein même du compte long. Chaque période de 20 ans (k’atun) est appelée par le nom du jour dans le tzolk’in par lequel elle s’achève, et c’est toujours le même, Ahaw, autrement dit "seigneur", "roi", ce jour régnant peut-être sur la période de 20 ans à la manière dont les rois régnaient sur leurs sujets. Or, comme dans le tzolk’in, les chiffres vont seulement de 1 à 13, il n’y a en fait que 13 noms complets possibles de k’atun. Après quoi, les noms de k’atun reprennent une nouvelle séquence identique. La roue des k’atun (13 fois 20 tun) recommence donc en permanence et cette répétition infinie fut à la base d’une longue tradition de prédictions censées s’appuyer sur la connaissance du passé. Avant même que le compte long cesse d’être utilisé dans les Basses Terres centrales (autour de 900, semble-t-il, au moment de la fin des royautés sacrées), les populations des Basses Terres du Nord avaient adopté comme calendrier (au VIIe siècle) le cycle des 13 k’atun, auquel on donna, par symétrie, le nom de "compte court". Ce cycle s’imposa ensuite. C’est aux prophéties qu’il permettait que sont consacrées les premières pages du codex de Paris. Il faut donc le reconnaître, la pensée maya du temps conduit à réfléchir sur les modèles cyclique et linéaire et leur opposition supposée radicale… Par ailleurs, si les Mayas ont accordé un grand intérêt aux périodes courtes (les 260 jours du tzolk’in, les 360 du tun, les 7 200 du k’atun ainsi que la roue des k’atun), on doit constater qu’ils furent aussi capables d’imaginer des cycles et des temps a priori inconcevables. Fut-ce un pur jeu numérologique ? En tout cas, un jeu sérieux et époustouflant pour l’époque, estime David Stuart.

La création du monde

À l’instar d’autres peuples de Méso-Amérique, les Mayas croyaient certainement que le monde n’était pas apparu d’un coup, mais qu’il était passé par plusieurs étapes de création et de destruction. Toutefois, dans l’ensemble de la documentation les concernant, il n’y a aucun écrit, aucune image qui offrent une vision des origines aussi détaillée et complexe que ce qui nous a été transmis pour le haut plateau mexicain du XVIe siècle. Pour les Mayas, nous possédons néanmoins le Popol Vuh – la version qu’on en a ne fut transcrite par un religieux, le dominicain Francisco Ximénez, qu’en 1704 -, qui présente probablement le mythe cosmogonique le plus complet conservé.

Il évoque deux humanités avant l’actuelle, celle des hommes de boue et celle des hommes de bois, les deux anéanties parce que dénuées de raison et incapables de rendre aux dieux les hommages que leur bienveillance impose en retour ; et le texte se poursuit avec la geste des deux paires de héros qui sont responsables de l’avènement du monde présent. Bien que reprenant certainement des éléments de mythes anciens, le récit témoigne d’une époque, le XVIe siècle, et d’un groupe donné, les K’iche’, qui dominaient alors une grande partie des Hautes Terres du Guatemala. Dans quelques inscriptions du Classique ou sur des vases polychromes à scènes figurées, d’autres fragments de mythes de création apparaissent. Aucun document, littéraire ou iconographique, en revanche, ne semble parler de la fin des temps ou de la fin du monde. Il n’y a notamment pas, chez les Mayas, d’équivalent du 5e soleil aztèque dont l’anéantissement était annoncé et bien fixé dans le temps.

Chiffres et prophéties

L’existence de cycles dans l’organisation des calendriers et, partant, la reconnaissance de la nature cyclique du temps furent, on l’a vu, une constante chez les Mayas. Le paradigme lié à la cyclicité est évidemment celui de la répétition des événements d’un cycle à l’autre, porte ouverte à l’art de la prophétie. Les Mayas s’y sont probablement toujours adonnés, encore que très peu d’inscriptions du Classique en témoignent. À l’inverse, au Postclassique (950-1520) et jusque bien avant dans l’époque coloniale, les textes prédictifs abondent. Tel est le cas en particulier du codex de Madrid qui est, en fait, un almanach de l’année de 260 jours où à chaque jour une prédiction est associée. Dans une veine assez comparable, on peut situer plusieurs des textes connus sous l’appellation Chilam Balam.

Là, en effet, on trouve des listes d’événements du passé enregistrés, k’atun (20 ans) après k’atun, ce qui permet de prophétiser ce qui adviendra dans tout ka’tun à venir du même nom. Mais, pour les Mayas, le futur prophétisé sur la base d’une connaissance du passé ne s’inscrivait malgré tout pas, semble-t-il, dans une stricte fatalité. D’une part, des rites – propitiatoires – pouvaient être effectués pour modifier, d’une façon ou d’une autre, le cours de choses ; d’autre part, prophétiser, c’est toujours chercher à dominer le temps et le monde. Dans le passé cosmogonique maya seule avait compté la volonté des dieux. Dans l’avenir, pourtant écrit par le passé, les hommes avaient certainement un mot à dire.

Une conscience historique ?

La découverte, dans les années 1980, du sens historico-politique d’un grand nombre d’inscriptions du Classique, évoquant par exemple des intronisations, des guerres, des mariages, a conduit alors bien des spécialistes à considérer que les Mayas de cette époque, parce qu’ils étaient organisés en cités-États gouvernées par des dynasties de rois sacrés et qu’ils utilisaient un calendrier d’allure apparemment aussi linéaire que le nôtre, avaient acquis une conscience du temps historique et écrit des fragments de leur propre histoire. Mais cette façon d’envisager les textes que nous ont laissés les Mayas classiques est sans doute excessive. Il faut noter d’abord que les événements qui sont consignés dans les inscriptions sont soit contemporains, soit très proches temporellement du moment où elles ont été exécutées (ainsi, un souverain parle de son père). Les inscriptions qui se rapportent à des événements du passé plus lointain existent certes, mais elles ne sont pas très nombreuses, et encore faudrait-il, parmi elles, soustraire tous les passages franchement mythiques (la naissance de dieux par exemple), ou d’autres, évoquant des époques trop éloignées dans le temps pour ne pas être suspectes. En enregistrant des faits et gestes de dirigeants – souvent d’ailleurs d’ordre plus rituel que strictement politique – du vivant des grands personnages ou peu après leur mort, les inscriptions mayas classiques constituent bien la trame d’une histoire.

Mais deux précisions s’imposent. Les faits narrés sont, pour une écrasante majorité d’entre eux, de nature étroitement locale ; autrement dit, les Mayas n’auraient jamais conçu une histoire de portée un tant soit peu générale. En outre, l’histoire, qui peut être restituée à partir des faits plus ou moins fragmentaires contenus dans chacune des inscriptions, est évidemment, d’abord et avant tout, l’oeuvre des épigraphistes et des historiens d’aujourd’hui qui se penchent sur ces textes. Est-ce à dire que l’on doive dénier aux Mayas toute conscience historique ? Les langues mayas n’ont pas de forme verbale spécifique pour marquer les temps (passé, présent, futur). Ce qui permet de distinguer les temps, ce sont surtout des adverbes ou le contexte lui-même. Rien d’étonnant alors à constater l’absence de distinction linguistique entre temps historique et temps mythique, sans pourtant que cette continuité des temps, mythique et historique, invalide totalement l’idée que les anciens Mayas aient eu une vraie conception historique du temps. Il ne faut pas oublier, en effet, que, pour eux, l’histoire des hommes cherche à reproduire celle des dieux.

Cet article a été publié dans L’Histoire n° 382, décembre 2012.

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