Face au bourbier malien, « seule l’intervention de drones américains pourrait être efficace » (expert militaire)

La confusion règne de plus en plus au Mali. La crise institutionnelle persiste au Sud tandis les conflits s’accentuent dans le Nord. La communauté internationale, elle, avance en ordre dispersé entre appels à l’intervention militaire et aux négociations. Décryptage.

Face au bourbier malien,
La récente nomination d’un Monsieur Sahel pour la diplomatie française reflète la difficile gestion de la crise malienne. Le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a chargé l’ambassadeur Jean Felix-Paganon d’établir « un plan d’action » pour le Sahel. « C’est une ré-orientation de la diplomatie française » observe l’anthropologue André Bourgeot, spécialiste du Sahel, contacté par Atlasinfo. « Après avoir soutenue l’idée d’une intervention militaire, elle joue désormais la carte des négociations ». Ce changement de cap ne serait pas sans relation avec la réticence du Conseil de Sécurité de l’ONU à valider l’intervention d’une force militaire de l’Union africaine (UA) et de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Mais certains pays africains, comme le Niger, continuent à réclamer d’urgence l’envoi de troupes au Mali. Samedi dernier, lors d’un sommet de l’Union africaine à Addis Abéba, Thomas Boni Yayi, président de l’UA et du Bénin, a réitéré son soutien à l’option militaire sous l’égide de l’ONU.

L’intervention militaire : mission impossible ?

Le Conseil de Sécurité de l’ONU ne semble pas pressé à statuer rapidement. « Tout le monde le sait : les troupes de la Cédéao et de l’UA seraient incapables de reconquérir le Nord du Mali, tout comme l’armée malienne » souligne un expert militaire interrogé par Altasinfo, qui souhaite garder l’anonymat. « Et personne ne souhaite prendre le risque politique d’intervenir militairement au Sahel. Ce serait un nouvel Afghanistan ! ».

Depuis le début de la crise, l’Algérie semble en retrait, alors qu’elle chapeaute le CEMOC (Comité d’état-major opérationnel conjoint). Le CEMOC, qui regroupe plusieurs pays de la région, et qui est précisément chargé de lutter contre le terrorisme au Sahel. Pour l’expert militaire, la réticence algérienne s’explique notamment par le fait que le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), un groupe dissident d’Al Qaïda au Maghreb Islamique, tient en otage sept ressortissants algériens depuis le mois d’avril, dont le Consul d’Algérie. « Et puis certains hauts cercles algériens, qui profitent des divers trafics au Sahel, pourraient également craindre de voir leurs activités révélées », ajoute l’expert.

Dans ce contexte, selon lui, seule l’intervention de drones américains pourrait être efficace, avec des attaques ciblées des groupes armés et terroristes, comme au Pakistan ou au Yémen. Mais l’administration Obama ne serait pas prête à s’engager sur un nouveau front miné. L’élection présidentielle américaine approche.

La perspective d’une intervention militaire étrangère est de surcroît impopulaire au Mali. Le chercheur André Bourgeot rappelle qu’au Niger, comme en Mauritanie, des troupes loyalistes maliennes n’attendent qu’un signal pour se lancer à la reconquête du Nord. « L’armée malienne a besoin de redorer son blason. Mais qui à Bamako va prendre la décision d’intervenir ? Le Premier ministre actuel, Cheick Modibo Diarra, n’est pas dans la situation de le faire »précise-t-il. Le Premier ministre malien a d’ailleurs récemment affirmé que les négociations restaient la première option pour résoudre la crise qui frappe son pays depuis le mois de janvier. Face à ces atermoiements, un groupe armé s’est constitué au Nord pour combattre les milices rebelles : le Front national de libération du Nord Mali (FNLM). Mais jusqu’à présent, il ne pèse guère militairement.

Quelles négociations ? Avec qui ?

Deux payssont actuellement engagés dans des négociations parallèles : l’Algérie et le Burkina Faso, le médiateur officiel de la Cédéao. « Sous ces deux médiations se joue un jeu d’influence pour la domination de la sous-région du Sahel » analyse André Bourgeot. « Depuis toujours, il y a une compétition entre l’Algérie et la France. Et le président burkinabé Blaise Compaoré est le pion de la France ». A la diversité des médiateurs répond celle des interlocuteurs rebelles : le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), souvent présenté comme laïc, et la milice salafiste Ançar Eddine. Leurs agendas politiques divergent. Si le MNLA réclame l’indépendance, les salafistes s’y opposent et réclament l’instauration de la charia au Mali. Ces deux groupes sont eux-mêmes engagés dans des pourparlers.
Selon l’expert militaire, « le MNLA perd du terrain face à Ançar Eddine. Ses combattants sont de plus en plus nombreux à rejoindre le groupe salafiste qui paie mieux. Dans ce contexte, le MNLA pourrait revenir sur le principe non négociable de l’indépendance ». André Bourgeot considère également que le MNLA pourrait évoluer : « L’avenir politique du MNLA ne passe aujourd’hui que par une alliance avec Ançar Eddine, qui incarne le pouvoir au Nord, y compris dans sa forme répressive ». Ançar Eddine semble donc le maître du jeu politique. Malgré les pourparlers, il n’a pas reculé sur sa revendication principale : l’application de la charia. Pour le moment, la voie politique, comme l’intervention militaire, est dans l’impasse.

Un autre acteur vient néanmoins d’entrer sur la scène mouvante du Nord Mali : la population locale. Mardi, à Gao, une manifestation avait été organisée contre l’assassinat d’un élu local. Des hommes armés ont ouvert le feu sur les manifestants. Bilan : plus d’un mort. A Kidal, début juin, un cortège de femmes avaient dénoncé le règne de la charia imposé par Ançar Eddine. D’après André Bourgeot, le MNLA comme Ançar Eddine manquent d’assise populaire : « Les manifestations locales contre les milices sont un fait nouveau extrêmement important. Elles pourraient créer les conditions d’une opposition populaire qui évacuerait la solution militaire pour ouvrir uneautre voie politique ».

Les risques du statu quo

La situation reste néanmoins bloquée et extrêmement changeante. Les groupes terroristes d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) et son groupe dissident le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) profitent du statu quo. Mercredi, le Mujao a pris le contrôle du quartier général du MNLA à Gao. Le secrétaire général du MNLA, Bilal Ag Achérif, a été blessé. C’est un sévère revers pour le groupe armé touareg qui ne cesse de perdre du terrain face aux islamistes.

« La situation est dramatique. Les groupes terroristes se renforcent considérablement en armes et en richesse. Ils peuvent déstabiliser la région. Nous connaissons la fragilité du Niger, mais celle du régime mauritanien est tout autant préoccupante » note l’expert militaire. Selon lui, la menace sécuritaire dépasse les frontières de la région et pourrait menacer la France. Le nouveau président du Sénégal, Macky Sall, a récemment baptisé le nord Mali « l’Africanistan ».

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