En Tunisie, les salafistes enflamment le soufisme

Les Tunisiens continuaient de défiler nombreux hier devant le mausolée de Sidi Bou Saïd, ravagé par les flammes samedi soir. «Comment ne pas être blessé ? C’est notre patrimoine», déplore un étudiant en architecture. «C’est le lieu de la sérénité», ajoute Tarek, un artiste peintre, qui se déclare «profondément touché». Située sur les hauteurs du village huppé du même nom, haut lieu du tourisme, la zaouia vieille de sept siècles, bâtie en l’honneur du saint musulman dont il porte le nom, offre une vue splendide sur le golfe de Tunis.

L’incendie a eu lieu samedi, aux environs de 19 heures, alors que les fidèles venaient de quitter la mosquée attenante et que les familles gardiennes des lieux s’étaient absentées. Le mausolée a brûlé très rapidement, ce qui laisse penser à une attaque préméditée, au cocktail Molotov. Le même week-end, une autre zaouia a été mise à feu, dans la ville voisine de La Marsa. En quelques mois, ce sont au total 14 mausolées qui ont été pris pour cibles, selon le décompte de l’association Touensa. Celui de Sidi Bou Saïd a suscité une émotion et une colère particulièrement vives.

«Summum». Cette zaouia «est très connue, très aimée en Tunisie. C’est un lieu de méditation, les gens viennent s’y recueillir, y lire le Coran. Chaque année, les "kharja" [processions, ndlr] rassemblent des milliers de personnes», explique Echmi Ben Azzouz, l’un des gardiens. «C’est le summum de la symbolique de notre identité», juge Zakia Hamda, native du village et productrice du documentaire les Passionnés, sur les confréries soufies. Cette femme de gauche, qui se définit comme non pratiquante, considère que le culte du saint soufi «fait partie de l’histoire, du folklore national. Il est caractéristique de l’esprit maraboutique, de cet islam joyeux, basé sur les arts. Ce qui déplaît aux orthodoxes.» L’islam pratiqué en Tunisie est de rite malékite, plus modéré que le wahhabisme saoudien et accorde une grande place au maraboutisme. Ces attaques de mausolées sont attribuées à des groupes salafistes. Des menaces répétées ont été rapportées. Dès lors, raconte Zakia Hamda, «les confréries soufies ont peur et font profil bas».

Aussitôt répandue la nouvelle de l’incendie de Sidi Bou Saïd, quelques centaines de personnes se sont rassemblées et ont marché vers le palais présidentiel de Carthage, tout proche. Le lendemain, la kharja improvisée devant le palais habité par le président tunisien, Moncef Marzouki, l’a exhorté à «rester à la maison».

Encerclé. Marzouki a eu beau publier un communiqué pour condamner «un acte criminel» contre un monument qui «fait partie intégrante du patrimoine culturel et religieux tunisien», il a été mal accueilli lorsqu’il s’est déplacé sur les lieux. Comme de nombreux autres responsables : le ministre de la Culture, celui de l’Intérieur et enfin le président du parti Ennahda, Rached Ghannouchi. Le ministre des Affaires étrangères, venu dîner dans un restaurant proche du mausolée le lendemain de l’incendie, s’est, lui, retrouvé encerclé et a dû filer par la porte de service.

Le gouvernement, dominé par Ennahda, est tenu pour responsable de ces attaques répétées. Le maire provisoire de Sidi Bou Saïd veut même porter plainte contre Rached Ghannouchi qui, selon lui, encourage ces attaques par ses déclarations complaisantes envers les salafistes. Dans son communiqué, le parti islamiste appelle, lui, «les autorités locales» à assumer la protection de tels lieux. Le gouvernement a fini par promettre un plan de sécurisation.

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