En Tunisie, des figures du régime Ben Ali de retour trois ans après la révolution

Trois ans et demi après la chute de Zine El-Abidine Ben Ali, ils sont de retour. Alors que la Tunisie est en campagne pour élire une nouvelle Assemblée, le 26 octobre, puis un président, le 23 novembre, d’anciens proches du dictateur déchu reviennent en force sur le devant de la scène politique. Anciens cadres du parti au pouvoir ou ex-ministres, ils espèrent capitaliser sur la déception des Tunisiens – qui n’ont pas profité depuis 2011 des changements espérés.

Lundi 15 septembre, Mondher Zenaïdi a ainsi été accueilli à l’aéroport de Tunis par une foule de partisans. Ministre de Ben Ali de 1987 à 2011, l’homme avait précipitamment quitté le pays au lendemain de la révolution pour se réfugier en France. Son retour en Tunisie est la dernière illustration d’un phénomène qui n’a cessé de prendre de l’ampleur ces derniers mois.

Honni par la population, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti quasi unique et tentaculaire sous Ben Ali (1987-2011), avait été dissous dès mars 2011. Une poignée de hauts dirigeants du régime ont ensuite été poursuivis par la justice, certains emprisonnés, puis relâchés. Le projet de loi d’exclusion – qui aurait potentiellement exclu de la vie politique les personnes considérées comme des ex-soutiens de Ben Ali – n’a finalement pas été voté. Rien ne s’opposait donc à leur réapparition au grand jour dans l’arène électorale.

Le parti Nidaa Tounès, qui se présente comme la principale force d’opposition aux islamistes d’Ennahda, leur a largement ouvert ses portes. Dès sa création, en 2012, la formation dirigée par l’ancien premier ministre de la transition, Béji Caïd Essebsi, qui revendique l’héritage progressiste du père de l’indépendance Habib Bourguiba (1957-1987), a rassemblé des indépendants, des syndicalistes, des militants de gauche mais aussi d’ex-partisans de l’ancien président. " Des notables qui n’ont pas été impliqués dans des actes d’autoritarisme ou de corruption ", fait valoir Ridha Belhaj, directeur exécutif de Nidaa Tounès.

D’abord en retrait, les ex-bénalistes ont peu à peu gagné du terrain à l’intérieur de la formation au point de provoquer de violentes luttes internes. " Sur le principe, les exclure n’était pas acceptable ni politiquement ni éthiquement ", souligne Taïeb Baccouche, secrétaire général du parti et ex-syndicaliste. Pour lui, leur montée en puissance " a pris des proportions inattendues. " L’aile gauche du parti a ainsi vu arriver avec stupeur le dernier secrétaire général du RCD (2008-2011), Mohamed Ghariani. Pour les législatives d’octobre, plusieurs têtes de liste sont des figures connues de l’ancien régime. " Si certains s’entêtent à vouloir faire du parti un petit RCD, ils le casseront ", prévient M. Baccouche, pour qui " le scrutin d’octobre constituera un bon test pour juger de la force de chaque courant ".

Au-delà de Nidaa Tounès, deux autres partis sont dirigés par des personnalités de l’ancien régime. Kamel Morjane, ministre de la défense (2005-2010) puis des affaires étrangères (2010-2011) sous Ben Ali, sera candidat à l’élection présidentielle du 23 novembre pour son parti Al Moubadara (L’initiative). Après la révolution de 2011, il avait fait son mea culpa, présentant publiquement ses excuses. " Je n’ai jamais participé de manière active " aux pratiques autoritaires, se défend Kamel Morjane, dans un salon d’affaires d’un hôtel de Tunis. Comme beaucoup, il avance avoir " toujours espéré que le régime – de Ben Ali – changerait peu à peu de l’intérieur ".

L’ex-ministre exclut tout retour en arrière, mais il refuse de condamner en bloc cette période : " Il y a eu des erreurs mais aussi des choses positives. " M. Morjane fut le seul ancien du régime à créer dès 2011 son parti, remportant cinq sièges à l’Assemblée nationale constituante. Son engagement politique est dicté, dit-il, par le sens des responsabilités vis-à-vis d’un pays en difficulté. " Les Tunisiens cherchent quelqu’un qui va les tranquilliser, une image de sérénité ", ajoute-t-il, expliquant se considérer comme " un destourien de naissance ".

Sur le fond, le message porté par les anciens du régime est le même. Tous se disent " destouriens ", en référence à l’héritage d’Habib Bourguiba – des droits des femmes à l’éducation en passant par la construction d’un Etat moderne –, plus présentable que celui de Ben Ali. Tous mettent en avant leur expérience d’hommes d’Etat rompus à la gestion du pays.

" On peut reprocher beaucoup de choses à Ben Ali, mais il y avait sous son régime de vraies compétences ", fait valoir Abderrahim Zouari, qui a été un homme-clé de l’ancien régime, ministre et même secrétaire général du RCD à deux reprises. Emprisonné en 2011, il sera cette année le candidat à la présidentielle pour le Mouvement destourien, un parti créé par Hamed Karoui, lui-même ex-premier ministre de Ben Ali (1989-1999). " Il y a une demande des électeurs pour des gens expérimentés : la Tunisie ne peut plus attendre ", explique-t-il. Le pays " a besoin d’un Etat fort : quelqu’un doit sonner la fin de la récréation ".

Quatre ans à peine après la révolution, ces anciennes figures de l’ère Ben Ali peuvent-elles revenir au pouvoir ? Elles se présentent en ordre dispersé, mais elles abordent les prochains scrutins avec plusieurs atouts. D’abord la désillusion d’une partie des Tunisiens. Depuis janvier 2011, le pays a connu de violents soubresauts politiques, un ralentissement de son économie, déjà mal en point, sur fond de menace terroriste croissante. Loin des espoirs suscités lors du " printemps arabe ". Elles peuvent ensuite compter sur les puissants réseaux de l’ex-RCD, toujours vivaces.

Charlotte Bozonnet

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