En France, l’extrême droite battue mais solidement ancrée dans le paysage

Forte d’un score historique au second tour de la présidentielle mais battue par le centriste Emmanuel Macron, l’extrême droite française confirme son ancrage profond dans le paysage politique, avec la ferme intention de progresser encore.

Au terme d’une campagne très offensive contre l’Europe, la mondialisation et les "élites", la candidate du Front national (FN) Marine Le Pen a réuni 34% des votes dimanche, soit 10,6 millions d’électeurs, deux fois plus que son père Jean-Marie en 2002, lors du second tour de la présidentielle remportée par le conservateur Jacques Chirac.

"Il faut arrêter de croire que le FN est un épiphénomène: cela ne s’arrêtera pas", souligne Virginie Martin, politologue à la Kedge Business School.

Ce résultat "historique et massif" – qui résonne avec une poussée nationaliste en Europe- fait du parti anti-immigration et anti-euro "la première force d’opposition" en France, selon Marine Le Pen. Dès l’annonce de sa défaite, elle a repris l’offensive en promettant "une recomposition politique de grande ampleur", entre "patriotes" et "mondialistes".

Le score du FN à la présidentielle "doit être lu pour ce qu’il est: une normalisation du choix de l’extrême droite dans la société française", analyse l’historien Nicolas Lebourg dans le quotidien Libération. Cela "signifie, comme dans les scrutins intermédiaires des dernières années, qu’il y a une vraie envie d’extrême droite dans la population".

Les thèmes de prédilection du FN — immigration, insécurité, souveraineté, protectionnisme économique… — trouvent un écho dans une France rurale et péri-urbaine inquiète du déclassement, épuisée par le chômage de masse (10%), sur les nerfs après la vague d’attentats jihadistes qui a fait 239 morts dans le pays depuis 2015.

"Le vent de l’Histoire est avec nous", confiait dimanche soir à l’AFP Johan, un militant de 29 ans venu participer à la soirée électorale de son parti à Paris.

Apaiser les doutes

Pendant des décennies, le FN a souffert d’une image toxique alimentée par les diatribes antisémites, révisionnistes et xénophones du père de Marine Le Pen, Jean-Marie.

Mais la stratégie de "dédiabolisation" engagée par Mme Le Pen dès son arrivée en 2011 à la tête du FN a payé. Elle est parvenue à adoucir l’image de son parti, tout en infusant ses idées dans le débat public. "Le FN a réussi à dicter son logiciel identitaire à l’ensemble du champ politique", fait valoir Sylvain Crépon, sociologue spécialiste du vote FN.

Conséquence: en 2017, le "front républicain" jusque là prompt à se former pour barrer la route à l’extrême droite française s’est profondément fissuré.

Malgré les appels politiques de tous bords à voter Macron pour "faire barrage" à Marine Le Pen, un électeur sur trois a refusé de choisir entre les deux candidats au second tour – un niveau record.

Entre les deux tours, Mme Le Pen a également bénéficié du ralliement inédit d’un homme politique de droite, le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, qui, malgré le désaveu franc de ses propres troupes, a permis au FN de tourner la page de l’ostracisation.

"Cet accord est tout à fait historique: cela inscrit le FN dans le champ républicain classique", commente Virginie Martin. "Après la dédiabolisation, il partent en quête de normalisation", analyse-t-elle.

Prochaine mission pour Marine Le Pen: réussir à décrocher au moins 15 à 20 sièges lors des élections législatives de juin, alors que son parti ne dispose actuellement que de deux députés à l’Assemblée nationale.

Mais pour faire progresser son camp, il va lui falloir commencer par apaiser les doutes qui agitent son parti, après une campagne électorale ponctuée de ratés qui ont pu lui faire perdre des voix: flou artistique sur la sortie de l’euro, agressivité débridée lors d’un duel télévisé, propos controversés sur une rafle de juifs à Paris sous l’occupation nazie…

Face aux critiques de son propre camp, la patronne du FN a annoncé une "transformation profonde" du Front national, qui, selon son lieutenant Florian Philippot, "n’aura plus le même nom".

"Il est temps de mettre en place une nouvelle force politique, de passer à l’étape d’après pour être encore plus rassembleur, je pense que c’est souhaité par beaucoup de Français", a-t-il dit lundi.

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