En Algérie, une onde de choc et un coup dur pour les autorités

Dans la course contre la mort engagée par l’armée algérienne pour sauver Hervé Gourdel, les chances de retrouver l’otage français vivant étaient minimes. Mais l’annonce de l’assassinat d’Hervé Gourdel, enlevé dimanche 21 septembre dans les montagnes de Kabylie, a provoqué une véritable sidération et une profonde colère dans le pays.

Pour beaucoup d’Algériens, cet assassinat fait remonter les souvenirs d’une décennie de guerre civile (1990-2000) entre l’armée et les groupes armés islamistes. Cet acte de sauvagerie, constate le journal arabophone Echourouk, " rappelle les massacres et les méthodes barbares du GIA – Groupe islamique armé – durant les années 1990 contre les Algériens ". Sinistre hasard du calendrier, l’assassinat d’Hervé Gourdel survient quelques jours après l’anniversaire du Massacre de Bentalha, dans la banlieue d’Alger, qui avait fait près de 400 morts dans la nuit du 22 au 23 septembre 1997.

Du côté officiel, il a fallu attendre plusieurs heures après l’annonce de la décapitation pour que les autorités algériennes s’expriment. L’armée a d’abord rappelé que tout avait été fait pour retrouver le ressortissant français, avec le déploiement de près de 2 000 soldats dans la zone de l’enlèvement. " Les opérations de lutte antiterroriste et la poursuite de ces criminels, où qu’ils se trouvent, demeurent toujours en vigueur, avec abnégation et détermination, jusqu’à leur élimination totale et la purification du pays de leurs actes abjects ", a assuré le ministère algérien de la défense. Puis un communiqué du gouvernement a dénoncé un acte " odieux " et " abject ". " L’Algérie réitère, à cette occasion, sa détermination à poursuivre sa lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes, tout en garantissant la protection et la sécurité de tous les ressortissants étrangers présents sur son territoire ", conclut le texte.

Au-delà de l’émotion provoquée par la mort de l’otage, l’attaque est un nouveau coup dur pour les autorités algériennes, qui n’ont de cesse de faire du pays un modèle en termes de sécurité. Le discours officiel a encore été réitéré récemment à Washington par le chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra. L’Algérie " peut être considérée parmi les rares pays qui ont effectivement défait le terrorisme ", avait-il dit, ajoutant : " Nous avons payé le prix fort pour cela, mais nous jouissons aujourd’hui d’un niveau très raisonnable de sécurité et de tranquillité dans notre pays. Nous sommes un pays exportateur de sécurité et de stabilité ".

Après l’assassinat d’Hervé Gourdel, les autorités algériennes accusent le coup. " L’armée algérienne et les services de renseignement – DRS – sont pris de court pour la deuxième fois en deux ans par une menace qui est restée en dehors de leur champ de vision, car extérieure à Al-Qaida au Maghreb islamique – AQMI – ", souligne Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste du djihadisme.

Mi-janvier 2013 déjà, le pays avait été la cible d’une attaque terroriste hors norme revendiquée par Mokhtar Belmokhtar. Un commando de 32 assaillants — et dix nationalités différentes — avait pris en otage des centaines de salariés sur le site gazier de Tiguantourine, près d’In Amenas. L’assaut de l’armée algérienne s’était transformé en carnage, faisant 38 morts parmi les otages dont 37 expatriés. La prise d’otages fut un électrochoc : même au plus fort de la décennie noire, jamais les installations gazières du pays n’avaient été visées. L’attaque mettait aussi en avant les failles de l’armée, censée garder le site.
Cette fois encore, si l’Algérie n’est pas le premier pays visé par l’Etat islamique (EI), elle se retrouve, avec l’apparition des Soldats du califat, en première ligne des mutations djihadistes en cours. Le groupe n’a officiellement fait allégeance à l’EI qu’à la mi-septembre, mais dès cet été, l’un des responsables locaux d’AQMI avait salué dans une vidéo l’organisation. Inquiet depuis plusieurs mois de ces mutations de la carte djihadiste, le pouvoir algérien n’aura donc pas réussi à la contrer.

Le pouvoir pourrait vite être confronté à l’indignation des populations de Kabylie. Ces montagnes sont depuis des décennies un repaire de terroristes, sans que les forces armées n’aient jamais pu les en déloger. Maquis pour les islamistes dans les années 1990, la zone a ensuite connu dans les années 2000 de nombreux enlèvements crapuleux, avant de devenir l’épicentre d’AQMI dans le pays.

L’émergence des Soldats du califat, qui vient de signer dans le sang son allégeance à l’EI, constitue un nouveau défi sécuritaire majeur. " Si AQMI persiste à demeurer fidèle à la “matrice” historique d’Al-Qaida et de son chef actuel, Ayman Al-Zawahiri, il y a fort à parier que Mokhtar Belmokhtar et son groupe des Mourabitounes vont eux aussi prêter allégeance à Al-Baghdadi ", le " calife " autoproclamé de l’Etat islamique, prévient le chercheur Jean-Pierre Filiu.

Charlotte Bozonnet avec Amir Akef (à Alger)
© Le Monde

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