En Algérie, la vente de boissons alcoolisées échauffe les esprits salafistes

La commercialisation des boissons alcoolisées provoque des tensions gouvernementales en Algérie, où les salafistes menacent de descendre dans la rue contre un texte libéralisant leur vente en gros dans un pays tiraillé entre respect de l’islam et liberté de conscience.

Mi-avril, le Premier ministre Abdelmalek Sellal a désavoué son ministre du Commerce Amara Benyounès qui avait diffusé une circulaire libéralisant le commerce en gros des boissons alcoolisées. Une décision qui illustre la difficile cohabitation entre ministres laïcs et islamistes pourtant dit "modérés", les radicaux étant exclus du champ politique.

"Le Premier ministre, pour apporter de la sérénité et de l’apaisement, a décidé de geler la circulaire", a expliqué M. Benyounès à la radio, se disant "victime d’un lynchage médiatique hallucinant" orchestré par des chaînes privées.

Sur Nahar TV, un "télé imam" populaire, Chemseddine, a accusé le ministre de "mener une guerre contre Dieu". "Nous voulons des lois conformes à la charia (loi islamique) et non au règlement de l’Organisation mondiale du Commerce", s’est-il enflammé, disant craindre désormais "la libéralisation de la vente du porc, puis de la prostitution".

Sur le web, des internautes ont lancé une page Facebook "ensemble pour une Algérie sans vin" suivie par plus de 10.000 personnes.

En gelant la circulaire de M. Benyounès, le Premier ministre "a consacré la faiblesse du pouvoir actuel aux yeux du courant islamiste", regrettait lundi le quotidien El Watan. "Les pressions politico-religieuses exercées ces dernières années sur les autorités furent si fortes qu’elles ont souvent contraint ministres et walis (préfets) à transgresser la légalité en promulguant (…) des lois incohérentes et contradictoires", déplore le journal.

"Peur des islamistes"

La circulaire de M. Benyounès, ministre issu d’un parti laïc, annulait en fait une circulaire illégale d’un de ses prédécesseurs islamistes, qui avait instauré une autorisation préalable pour la vente en gros des boissons alcoolisées. Selon la loi, ce visa ne concerne en effet que la vente au détail.

"Je ne suis pas un imam ni un mufti, mais un ministre de la République", s’est d’ailleurs insurgé M. Benyounès, révélant que 70% des alcools importés sont commercialisés sur le marché informel.

L’Algérie produit du vin et de la bière, les autres boissons alcoolisées étant importées. Selon le président de l’Association des producteurs algériens de boissons, Ali Hamani, le pays produit annuellement 1,6 million d’hectolitres de bière et 700.000 hectolitres de vin, consommés à 85% localement.

Avec 40 millions d’habitants, musulmans sunnites à 99%, l’Algérie a importé en 2014 pour 82 millions de dollars de boissons alcoolisées, soit une hausse de plus de 40% en deux ans.

Ces dernières années, des centaines de bars ont pourtant été fermés par les autorités pour de multiples infractions. Depuis, accuse un patron de bar algérois sous couvert de l’anonymat, "nombre d’entre eux attendent désespérément l’autorisation de rouvrir après avoir satisfait à toutes les exigences en matière d’hygiène, de sécurité et de respect de l’environnement".

"C’est une décision politique, le pouvoir a peur des islamistes", estime ce patron du centre d’Alger, conforté par un client venu du quartier périphérique d’Hussein-Dey.

"On y comptait une quinzaine de bars, il n’y en a plus un seul", dit ce quinquagénaire qui regrette de ne pas pouvoir siroter sa bière sur une des terrasses ensoleillées d’Alger, où la consommation d’alcool n’est pas tolérée.

Par peur, les buveurs de vin et de bière doivent s’enfermer derrière les portes de bistrots enfumés, se calfeutrer à domicile ou consommer dans des endroits improbables, comme sur des falaises ou dans les bois, où bouteilles et cannettes sont abandonnées au mépris de l’hygiène et de l’environnement.

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