En Afrique du Sud, le remaniement vire à la guerre au sein de l’ANC

La décision du président sud-africain Jacob Zuma de limoger son ministre des Finances et rival Pravin Gordhan a viré vendredi à la guerre ouverte au sein du Congrès national africain (ANC) au pouvoir, qui apparaît plus divisé que jamais.

Quelques heures à peine après l’annonce du vaste remaniement gouvernementale qui a coûté son poste au ministre, deux poids lourds du parti de l’icône Nelson Mandela sont montés au créneau pour critiquer publiquement son départ forcé.

Lui-même candidat à la succession de M. Zuma à la tête de l’ANC, le vice-président Cyril Ramaphosa l’a jugé "inacceptable".

"J’ai fait connaître mon opinion, un certain nombre d’autres collègues et camarades ne sont pas satisfaits de cette situation, particulièrement du renvoi du ministre des Finances qui servait le pays avec honneur et excellence", a-t-il déclaré à la presse.

M. Ramaphosa a toutefois indiqué qu’il ne démissionnerait pas.

Après plusieurs jours de rumeurs et de tensions, le chef de l’Etat a annoncé dans la nuit un remaniement de grande ampleur, marqué par la nomination de dix ministres et autant de vice-ministres, pour la plupart considérés comme des fidèles.

Avant lui, le secrétaire général de l’ANC Gwede Mantashe a dénoncé ni plus, ni moins qu’un coup de force du président.

"Le président est venu avec une liste. Il a dit +vous pouvez commenter si vous voulez mais c’est ma décision+", a rapporté M. Mantashe, "ce procédé m’a rendu nerveux et mal à l’aise".

Pravin Gordhan a été, sans surprise, la principale victime du remaniement. Champion de la lutte contre la corruption, il était depuis des mois en conflit ouvert avec Jacob Zuma, englué dans une longue liste de scandales politico-financiers.

Lundi, le chef de l’Etat a brutalement interrompu une tournée de promotion du ministre auprès des investisseurs au Royaume-Uni, au motif qu’il salissait son image à l’étranger.

"N’importe quoi", lui a rétorqué vendredi Pravin Gordhan.

Zuma corruptible

Tout en ironie et sous-entendus, il a profité d’une conférence de presse d’adieu pour adresser plusieurs piques à son ex-patron. "J’espère que de plus en plus de Sud-Africains sont déterminés à dire que notre pays n’est pas à vendre", a-t-il lancé.

Le président Zuma est mis en cause dans plusieurs scandales de corruption qui impliquent notamment la sulfureuse famille Gupta.

Le renvoi de Pravin Gordhan a une nouvelle fois illustré les profondes fractures politiques qui déchirent l’ANC, au pouvoir depuis l’élection de Nelson Mandela en 1994.

En nette perte de vitesse depuis son revers aux élections locales de l’an dernier, le parti est écartelé entre les soutiens de Jacob Zuma, partisan d’une "transformation radicale" de l’économie en faveur de la majorité noire, et une aile plus modérée incarnée par MM. Gordhan et Cyril Ramaphosa.

Ces divergences sont exacerbées par la course engagée pour la succession de M. Zuma, qui doit quitter la présidence de l’ANC en décembre dans la perspective des élections générales de 2019.

Le chef de l’Etat soutient son ex-épouse Nkosazana Dlamini-Zuma face à l’autre favori, Cyril Ramaphosa.

"Ce remaniement marque clairement la volonté de Zuma de promouvoir la candidature de son ex-femme", a commenté à l’AFP l’analyste politique Susan Booysen, de l’université Witwatersrand.

Le renvoi de Pravin Gordhan a provoqué la colère de l’opposition, qui y voit la volonté du président de renforcer son contrôle sur les finances du pays. Le portefeuille des Finances a été attribué à un proche, le ministre de l’Intérieur Malusi Gigaba.

"Les actions du président Jacob Zuma ne peuvent être considérées que comme de la trahison", a dénoncé le chef de l’Alliance démocratique (DA, opposition), Mmusi Maimane.

"Elles ne sont pas dans l’intérêt de tous les Sud-Africains et sûrement pas dans celui du bien-être de la République", a-t-jugé.

Son parti a annoncé le dépôt au Parlement d’une énième motion de défiance contre M. Zuma.

Les marchés financiers ont eux aussi sanctionné le départ de Pravin Gordhan, respecté pour avoir tenu tant bien que mal les cordons d’une économie sud-africaine endettée et qui tourne au ralenti.

Le rand sud-africain a perdu jusqu’à 2,6% par rapport au dollar dans la matinée, en baisse de plus de 7% par rapport au billet vert depuis le début de la semaine.

Fin 2016, les trois grandes agences de notation financière ont accordé un sursis à l’Afrique du Sud en ne la dégradant pas dans la catégorie des investissements spéculatifs. Mais elles ont menacé de le faire en cas de persistance de l’agitation politique.

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