Droits de l’Homme: au Forum de Marrakech, âpres débats autour de la « liberté de conscience »

« Nous avons été conditionnés! », accuse un jeune militant. « En islam, chacun est libre », rétorque une autre. La « liberté de conscience », qui divise la société au Maroc comme dans d’autres pays de la région, a été âprement débattue au Forum mondial des droits de l’Homme (FMDH), à Marrakech.

Ce rendez-vous, qui célèbre sa 2e édition, se tient jusqu’à dimanche dans la ville ocre, en présence de plus de 7.000 personnes d’une centaine de pays. Peine de mort, droit à l’éducation, droits des femmes et des enfants figurent parmi les nombreux thèmes abordés durant les trois jours de la rencontre.

Mais l’un des plus âprement discutés a été celui consacré, samedi, à la "liberté de conscience", dans un pays où l’apostasie et le non respect du jeûne de ramadan, entre autres, sont passibles de prison.

Sous l’intitulé "Défendre la liberté de conscience, une responsabilité individuelle et collective", quelque 200 militants du Maroc, mais aussi de toute la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (Mena) ont exposé des positions souvent clivantes, dans un contexte post-révolutions arabes où ce thème s’est parfois invité dans les débats politiques, comme en Tunisie.

Dans mon pays, le "crime d’apostasie" est puni par "une privation de droits civiques", regrette l’avocat jordanien, Haytham Munir Micha’il Ereifej.

La personne condamnée "perd son travail, son conjoint, ses documents administratifs et, au final, son identité", dit-il.

En Mauritanie, un religieux a appelé "à verser le sang" d’une militante ayant plaidé en faveur d’un procès équitable pour un détenu accusé d’apostasie, embraie une ressortissante de ce pays, Lalla Aïcha.

"La constitution mauritanienne dit que l’ensemble du peuple est musulman (…) Je suis musulmane, mais j’accepte la croyance des autres", avance-t-elle.

Un compatriote prend la parole pour se démarquer. "Notre peuple a choisi la religion musulmane (…). Pourquoi n’attaque-t-on ici que l’islam et pas une autre religion?", s’agace-t-il.

– "Identité islamique" –

Au Maroc même, la liberté de croyance "devrait figurer dans la constitution", estime Azzedine El Allam, professeur à l’université Hassan II de Casablanca, citant les recommandations de l’association pro-liberté de conscience "Damir", à l’initiative de la rencontre.

Il plaide aussi pour la "réforme des manuels scolaires", qui véhiculent selon lui une vision "conservatrice" sur cette question.

"L’école nous a conditionnés à être musulmans!", acquiesce un jeune, qui se dit favorable aux libertés religieuses et sexuelles.

Mais, là encore, les avis s’opposent. "En islam, chacun est libre, mais changer de religion doit se faire par conviction", lui répond une jeune femme voilée, qui insiste sur le "respect" dû à la religion musulmane.

Les échanges prennent une tournure plus politique avec l’intervention d’un responsable du Mouvement unicité et réforme (MUR), M’hamed Hilali, qui dénonce une marginalisation de son point de vue dans le débat.

"Nous sommes pour la liberté de croyance et nos foqaha (théoriciens religieux) y réfléchissent", clame le vice-président de cette association de prédication proche du Parti islamiste justice et développement (PJD), qui dirige l’actuelle coalition gouvernementale.

Au Maroc, où l’islam est religion d’État, il fut un temps question d’inscrire la "liberté de conscience" dans la nouvelle constitution de 2011, élaborée dans le contexte du Printemps arabe.

Mais le PJD avait, à l’époque, menacé de voter contre le texte s’il comportait cette disposition aux "conséquences néfastes" sur "l’identité islamique" du royaume, selon lui.

Dans un entretien publié samedi par le site d’informations Medias 24, le leader du PJD et chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, a jugé cette question "tranchée".

"Nous n’avons pas besoin d’inscrire la liberté de conscience, c’est déjà le cas dans la pratique. Chacun est libre de ses convictions", a-t-il plaidé.

La société marocaine, qui reconnaît notamment son héritage juif, est déjà "pluraliste" et "nous ne pouvons ajouter davantage de pluralisme confessionnel", a encore estimé M. Benkirane.

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