Drogue, homosexualité: un film abat les tabous arabes israéliens

« Bar Bahar » raconte un choc des cultures: celle de Nour, voilée et conservatrice, et celle de Leïla et Salma, jeunes Arabes israéliennes qui font les 400 coups dans l’anonymat de Tel-Aviv. Mais le vrai choc, sa réalisatrice l’a ressenti quand on l’a menacée de mort.

Avec son premier long-métrage sorti en janvier en Israël, Maysaloun Hammoud, 35 ans, frappe fort.

En deux heures, la réalisatrice originaire de Galilée s’attaque aux tabous de la société arabe israélienne: il y a la drogue, l’alcool, l’homosexualité de Salma, refusée en bloc par sa famille chrétienne, l’indépendance de Leïla, qui préfère quitter son petit ami lorsqu’elle découvre qu’il est bien plus conservateur qu’il ne le prétend.

Il y a surtout l’histoire de Nour, originaire de la ville conservatrice d’Oum al-Fahem, bastion en Israël du Mouvement islamique, proche des Frères musulmans.

Nour est d’abord choquée par l’attitude de ses colocataires quand elle emménage dans leur appartement de Tel-Aviv, mais finit par se rebeller contre sa famille et les traditions. Elle quitte son fiancé Wissam, barbu et peu avare de formules religieuses, après que celui-ci la viole, une scène montrée à l’écran.

Le film sortira en France fin mars, sous le titre "Je danserai si je veux". Déjà sorti aux Etats-Unis, il a été salué par le magazine Variety comme un drame "convaincant" et par le Hollywood Reporter comme un "premier film pétillant". Il a été primé au festival de San Sebastian (Espagne).

En Israël même, le nombre des entrées n’est pas disponible. Mais il a retenu l’attention, y compris chez les cinéphiles juifs.

A Oum el-Fahem en revanche, il a provoqué une levée de boucliers et a été interdit de projection. La municipalité a dénoncé un film "de bas niveau, sans le moindre élément de vérité".

Maysaloun Hammoud et ses actrices ont même reçu des menaces de mort sur les réseaux sociaux: "Ceux qui parlent en mal d’Oum el-Fahem creusent leur propre tombe" ou "Il vous faudrait une balle dans la tête et une autre dans le coeur".

"En tant qu’artiste, réalisatrice et scénariste, mais aussi en tant que membre de cette société, j’ai le droit d’évoquer tous les sujets que j’estime importants", répond Mme Hammoud, le visage encadré par des cheveux noirs coupés court. Elle porte aux bras plusieurs tatouages, dont un est le titre de son film aux couleurs du drapeau palestinien.

"Le public est le bienvenu s’il veut voir mon film, comme n’importe quel autre. Mais si quelqu’un n’est pas intéressé, qu’il passe son chemin", ajoute-t-elle dans un café de Jaffa, quartier ancien et mixte de Tel-Aviv où elle vit.

Son film met à l’écran ce que la société arabe israélienne tient caché, comme les soirées arrosées où les volutes de cannabis s’élèvent parmi les danseurs, dit-elle.

"Je n’exagère rien, chaque scène est réaliste", martèle-t-elle.

Bar Bahar, littéralement "Entre terre et mer" en arabe, traduit en "Ni ici, ni là" en hébreu, est pour sa réalisatrice, "la voix de toute une génération", celle des jeunes Arabes israéliens, les descendants des Palestiniens restés sur leurs terres à la création d’Israël en 1948, et qui ne se sentent ni Israéliens ni Palestiniens à part entière. Ils représentent un Israélien sur cinq.

Maysaloun Hammoud ne voulait pas faire un film politique à proprement parler. Des films sur l’occupation israélienne des Territoires palestiniens ou sur le conflit en lui-même, "il y en a plein", estime-t-elle. Ce pour quoi elle plaide, ce sont des films qui mettent la société "face à ses contradictions, pour pouvoir avancer".

Elle a préféré mettre en scène un autre conflit, "celui des filles", qu’elle situe "dans un lieu qu’on nous présente comme ouvert et comme accueillant l’altérité". Tel-Aviv est décrite par les Israéliens comme la ville libérale par excellence.

"Mais elles découvrent que même si elles peuvent s’éloigner autant que possible de leur ville d’origine et de leurs traditions, elles ne seront toujours pas acceptées et resteront confrontées au racisme."

L’idée, c’est qu’en sortant du cinéma, ni les Israéliens juifs, ni les Arabes israéliens "ne se sentent bien", car tout le monde en prend pour son grade. Sauf les trois héroïnes, qui finissent le film la tête haute.

(Afp)

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