Des Syriennes dans l’enfer du trafic sexuel au Liban

Un fouet accroché au-dessus d’un lit, de la lingerie au sol, des portes en fer et des fenêtres grillagées aux vitres peintes en noir. C’est dans ce décor sinistre d’un bordel au nord de Beyrouth que Soha, une Syrienne de 26 ans, a été durant des années coupée du monde, soumise avec des dizaines d’autres filles aux pires formes d’"esclavage sexuel".

"On devait coucher avec 15 à 20 hommes par jour, parfois avec 40 quand il y avait beaucoup de ‘travail’", affirme Soha dans une rare interview accordée à l’AFP dans une ville au sud du Liban où elle a trouvé refuge. Elle utilise un pseudonyme pour des raisons de sécurité.

Début avril, le scandale éclate avec le démantèlement du plus grand réseau de trafic sexuel découvert depuis le début de la guerre en Syrie qui a poussé plus d’un million de personnes à se réfugier au Liban.

Rendus vulnérables par la guerre, de plus en plus de Syriens sont victimes d’exploitation sexuelle entre autres au Liban ou en Jordanie, selon la police et des organisations internationales.

"On n’avait pas le droit de sortir; les gardes nous ramenaient vêtements, maquillage et nourriture", se souvient Soha, une brune à la voix douce et aux ongles peints en noir.

Agées de 20 à 28 ans, au moins 75 femmes, la plupart Syriennes, ont été libérées de cet enfer mais le chef du réseau est en fuite. Treize gardes et trois proxénètes ont été arrêtés.

La police des moeurs libanaise est elle soupçonnée de complicité et un gynécologue qui aurait pratiqué 200 avortements forcés a été identifié sans être arrêté.

– ‘Ligotée, battue’ –

"Si on refusait une sodomie, une fellation, une relation sans préservatif ou si un client n’était pas satisfait, on nous fouettait au petit matin", raconte Soha qui avait pu s’enfuir quatre mois avant l’opération contre le réseau.

Leur tortionnaire s’appelait I. R., un ex-membre des renseignements de l’air syriens aujourd’hui en fuite en Syrie, selon des sources de sécurité. Il était gérant de "Chez Maurice" et "Silver", deux maisons closes de la région de Maameltein, le "quartier rouge" du Liban.

"Il ligotait la fille en lingerie sur une table, lui jetait de l’eau froide et la battait, avec le fouet ou un tuyau en plastique. Si elle tentait de fuir, il lui donnait des coups de pied sur la tête, sur le ventre", assure Soha, tirant nerveusement sur sa cigarette. "Puis, elle devait reprendre le travail comme si de rien n’était".

Les coups étaient infligés devant les autres filles, pour servir de "leçon", dit-elle, précisant qu’une victime fut si sévèrement battue qu’elle "est restée un mois au lit".

"La seule fois où une fille pouvait sortir, c’est quand I. R. la ramenait chez lui pour passer la nuit et la ‘tester’, comme s’il s’agissait d’une marchandise", soutient Soha.

"Chez Maurice" et "Silver" ont été scellés à la cire rouge par la police qui a fermé d’autres maisons closes près de Beyrouth.

Originaire du sud de la Syrie, Soha a été amenée par ruse au Liban comme la plupart des victimes de traite. C’était en 2008, elle avait 18 ans et une connaissance d’I. R. lui avait promis qu’elle "travaillerait comme serveuse dans un restaurant".

A l’arrivée, ce fut le choc. "Quand j’ai refusé de me prostituer, I. R. m’a battue".

– ‘foetus enterrés’ –

"A leur arrivée au Liban, les filles étaient emprisonnées, leurs papiers et leur portable confisqués", explique à l’AFP le commandant Joseph Moussallem, porte-parole de la police libanaise.

Les proxénètes "choisissent des orphelines ou des filles de familles vulnérables", ajoute-t-il.

Certains "leur proposent un boulot, d’autres promettent des fiançailles avant d’emménager au Liban", selon Maya Ammar, porte-parole de Kafa (Assez!), une des ONG qui prend en charge les victimes.

"Beaucoup de femmes ont été violées le premier jour pour les soumettre", d’après elle.

Les filles étaient soit "achetées" et restaient indéfiniment prisonnière, soit "louées" quelques mois avant d’être passées à un autre réseau, selon Soha. "Je me suis sentie comme une ordure. Je ne sentais pas mon corps, il appartenait à mes tortionnaires, aux clients", confie-t-elle.

De nombreuses filles ont été forcées d’avorter "soit chez le médecin, soit en avalant des pilules", explique-t-elle. "Les foetus étaient enterrés dans un jardin derrière ‘Chez Maurice’".

Selon le commandant Moussallem, certaines ont pensé au suicide. Les entremetteurs "les ont convaincues qu’au Liban, ils étaient tout-puissants".

Les voisins de cette maison des horreurs, dotée de caméras de surveillance, affirment avoir entendu les cris des filles, mais dès qu’une personne appelait la police, I. R. était alerté et les cachait.

Une enquête a été ouverte après des accusations de "complicité" lancées par le leader libanais Walid Joumblatt contre "de hauts responsables de la police des moeurs" dans un pays miné par des affaires de trafic d’influence.

– Lois contradictoires –

Terrorisées, "les filles n’osaient pas parler aux clients", explique Soha. Finalement, plusieurs d’entre elles ont réussi à s’enfuir début avril, avec l’aide de clients.

Les membres du réseau risquent des peines de cinq à 15 ans de prison selon une loi de 2012.

Mais pour Mme Ammar, il y a deux lois contradictoires: l’une, qui réprime le trafic d’êtres humains, considère comme la femme comme victime, l’autre la pénalise. Des prostituées sont parfois arrêtées lors de coups de filets au lieu d’être protégées.

Selon Mme Ammar, les maisons closes de Maameltein étaient un secret de polichinelle, "mais quand elles ont fait la ‘une’, les gens ont été choqués".

"Il y a des cas moins extrêmes mais ignorés", note-t-elle, citant des filles de Russie et d’Europe de l’est avec des "visas d’artistes" délivrés par la Sûreté générale, alors qu’elles doivent se prostituer au Liban.

Les ONG offrent une aide médicale, psychologique et légale aux victimes pour les aider à se reconstruire. Certaines ont porté plainte, d’autres sont rentrées en Syrie malgré la guerre.

Libérée de ses bourreaux, Soha reste en colère car ils courent toujours: "Ils ont détruit notre vie".

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