Délocalisations : quel poids sur l’emploi ?

Délocalisations : quel poids sur l’emploi ?
Les délocalisations ont-elles saigné l’économie française ? Sont-elles coupables des 2 millions d’emplois industriels perdus en trente ans, dont plus de 750 000 ces dix dernières années ? Le nouveau sujet brûlant de la campagne divise les économistes. Les plus optimistes estiment que la mondialisation (délocalisations et concurrence des pays à bas coûts) n’explique que 10 à 15% des destructions d’emplois, liées pour l’essentiel au progrès technique. Mais le chiffre monte à 28% dans une étude de Bercy, et même à près de 50% selon trois chercheurs de l’Insee. Quelques points font tout de même consensus. Le phénomène a tendance à s’accélérer, et gagne les services et la recherche et développement (R&D). La faute, bien sûr, au coût du travail, aux exigences de rentabilité des entreprises et à la concurrence acharnée qu’elles se livrent. Sauf que l’industrie française chute plus fort que chez nos grands voisins, à cause d’un manque d’innovation et de produits haut de gamme. C’est le drame de la France : elle n’a pas créé assez d’emplois dans les secteurs d’avenirs (énergies vertes, high-tech, biotechnologies…) pour compenser le déclin des vieilles industries.

Textile Le jour d’après

Le textile, combien de divisions en France ? Emmanuelle Buteaud, déléguée générale de l’Union des industries textiles, s’étonne que l’on pose la question : «Les effectifs ont tellement fondu depuis dix ou vingt ans», soupire-t-elle. Aujourd’hui, le secteur, de la production de tissus à la confection de la lingerie, n’emploie plus que 70 000 salariés. Tandis que l’habillement, c’est-à-dire le prêt à porter, en mobilise entre 40 000 et 50 000. En fait «le gros des destructions d’emplois, dit-elle, est derrière nous». Le rôle des délocalisations ? «On ne peut pas dire que les pertes d’emplois se sont traduites de façon mécanique par des délocalisations.» D’abord, parce que des entreprises disparaissent sans forcément se déplacer ailleurs. D’autres, comme Petit Bateau, pratiquent un mix. Le spécialiste du sous-vêtement a ainsi gardé la R&D et les finitions pour les tricots en France, et a déplacé le reste de la production à l’étranger. «C’est toujours plus subtil ou métissé que ce que l’on raconte», dit Emmanuelle Buteaud. Ainsi ces exemples récents de relocalisations, tel que le fabricant de chaussettes Olympia, racheté par Bleu Forêt : il a rapatrié de la production à Troyes, alors qu’Olympia avait tout expédié en Roumanie. Sa recette : la chaussette antibactérienne, à forte valeur ajoutée. Clayeux, autre marque qui fleure bon le made in France, a été racheté à la barre du tribunal, il y a quelques mois. Son nouveau patron, François Gadrey, a choisi de faire le prototypage et la production de vêtements en maille en France. Mais il ne s’agit que de maintenir une trentaine de techniciens. Clayeux, il y a dix ans en employait 700 !

Automobile Le bas de gamme à l’étranger

La première industrie française délocalise à tout va. La production automobile s’est effondrée de 40% en cinq ans, pour retomber à son niveau de… 1965 ! Renault et PSA Peugeot Citroën, qui ont supprimé 40 000 emplois depuis 2004, jurent que c’est une question de survie. Ils sont spécialisés dans les petites voitures pas chères et peu rentables, pour lesquelles chaque euro compte. Le patron de Renault, Carlos Ghosn, est le plus radical : depuis 2005, il a délocalisé les trois modèles les plus vendus (Twingo, Megane, et la moitié de la Clio) et un tiers de ses ingénieurs. Malgré ses usines en République tchèque et en Slovaquie, PSA est longtemps resté plus attaché au made in France. Mais ce choix lui est aujourd’hui reproché par les marchés financiers, qui soulignent une rentabilité trop faible. D’où l’annonce, en novembre, de 5 000 suppressions d’emplois en France. Sans oublier une note interne, démentie par la direction, qui prévoit de fermer l’usine francilienne d’Aulnay (délocalisation). PSA tente tout de même de copier le modèle allemand avec des modèles haut de gamme (comme les Citroën DS) fabriqués en France. Mais vu la puissance d’Audi, Mercedes et BMW, la lutte sera longue et difficile.

Services Le grand rapatriement

«Bonjour, je m’appelle Fatimah.» Rappelez-vous. Il y a cinq ans, certains partaient en campagne contre les centres d’appels qui, à l’instar de Téléperformance, délocalisaient les emplois de téléconseillers sur le pourtour de la Méditerranée. En 2012, changement de cap : le coup de projecteur est mis sur le recrutement en France. A Compiègne, Welbhelp, pointure dans la relation-client, accueille en ce moment ses premiers salariés. Il projette d’employer 600 personnes d’ici dix à seize mois. Et met l’accent sur l’Hexagone. Curieuse trajectoire pour cette entreprise qui avait choisi délibérément, à sa création, il y a onze ans, la Roumanie, puis le Maroc pour ses deux premiers centres d’appels servant la clientèle française (banque, assurance, télécoms…). Olivier Doha, son patron, explique : «Nos clients réclament cette proximité avec nos équipes !» Le management d’Orange, qui délègue à Compiègne certains services, est à une heure de voiture pour former ses téléconseillers. A Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), c’est deux centres de 600 personnes que Webhelp a développés. Pourtant, reconnaît Olivier Doha, «le coût complet d’un téléconseiller entre la France et le offshore varie dans un rapport de 1 à 2». Manuel Jacquinet, qui édite la revue En-Contact, chiffre à 250 000 les emplois en France, et à 60 000 les emplois offshore (Maroc, Tunisie, Afrique ou pays de l’Europe de l’Est francophones). Le offshore pesait dix fois moins il y a six ans. «C’est là que se sont fait l’essentiel des créations d’emplois», dit Jacquinet. Mais l’an dernier, «les effectifs nets ont encore progressé en France de 2 à 3%». Preuve de l’attrait de l’Hexagone.

High-tech L’inexorable fuite asiatique

C’est un mouvement par vagues débuté il y a une vingtaine d’années et qui se poursuit. Des téléviseurs aux puces et microprocesseurs en passant par les mobiles, les ordinateurs ou les logiciels, une grande partie de la high-tech française a migré vers l’Asie. En Chine et en Inde, mais aussi à Singapour et en Malaisie. Voire aux Etats-Unis où se sont installés de grands labos de recherche dans la pharmacie. «On a commencé par délocaliser les tâches productives, explique Gilles le Blanc du Cerna, le laboratoire d’économie industrielle de Mines Paris Tech. Mais depuis peu, on est passé à une phase plus dangereuse avec la délocalisation des activités de R&D et de conception.» Une question de coûts, mais pas seulement. La France ne «produisant» pas assez d’ingénieurs, ses entreprises installent de plus en plus souvent à l’étranger ces activités à haute valeur ajoutée. Fait révélateur, le champion français des services informatiques, Cap Gemini emploie plus de monde en Inde (23 000 personnes) qu’en France (20 000). Ils ont même rebaptisé leur activité en pays low-cost : le right shore. Le bon endroit en somme.

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