Cuba: les relations tourmentées entre l’Eglise et l’Etat communiste

Après plusieurs décennies d’hostilité du régime de Fidel Castro et d’athéisme forcené, l’Eglise catholique et l’Etat cubain ont opéré au fil des années un lent rapprochement, jusqu’à devenir aujourd’hui des interlocuteurs privilégiés.

— LA CONFRONTATION

Quelques semaines après la révolution castriste de 1959, "il s’est produit un processus de tension très intense qui a duré trois ans", explique à l’AFP l’écrivain et sociologue cubain Aurelio Alonso, sociologue et auteur de plusieurs ouvrages sur l’Eglise catholique et la religion à Cuba.

Pendant cette période, Fidel Castro décrète d’emblée la nature athéiste de sa révolution, et, ulcéré par la défiance du clergé conservateur face aux "barbudos", décide d’expulser plus de 130 prêtres du pays, du jamais vu en Amérique latine à l’époque.

"Ce fut la décision la plus radicale et violente de la révolution contre l’Eglise", parce que "les prêtres expulsés n’étaient pas tous des Espagnols ni des franquistes", relève M. Alonso.

Dans la foulée, le lider maximo ordonne le placement dans des camps de travail d’autres religieux tels que l’actuel chef de l’Eglise cubaine Jaime Ortega, l’expropriation de nombreux biens de l’Eglise, ainsi que la nationalisation de toutes les écoles privées, établissements catholiques compris.

En dépit de quelques tentatives d’apaisement de la part du clergé à la fin des années 1960, les autorités cubaines ont conservé pendant plusieurs années une "vision très athéiste en liaison étroite avec le communisme soviétique", explique l’expert.

En 1970, Fidel Castro supprime le férié de Noël et cinq ans plus tard, le congrès du Parti communiste cubain (PCC) entérine la rupture totale avec l’Eglise.

— LA DETENTE

Si pour certains observateurs la détente n’a vu le jour que dans les années 1990, M. Alonso assure qu’elle a pris racine au mitan de la décennie 1980.

En 1985 était publié le livre d’entretiens "Fidel et la religion" du prêtre dominicain brésilien Frei Betto, dans lequel il apporte son soutien à la "théologie de la libération". La même année, l’arrivée au pouvoir du réformateur Mikhaïl Gorbatchev marque le début d’un éloignement avec l’URSS.

Ces évènements concourent selon l’expert au début "d’un processus de progrès et de rapprochement" notamment illustré, en 1986, par une Rencontre nationale ecclésiastique cubaine au cours de laquelle le clergé local opère un virage vers le pragmatisme et la négociation, tout en prenant ses distances avec l’opposition.

Lors de ces réunions, l’Eglise reconnaît comme un fait historique la révolution socialiste et définit une nouvelle orientation pastorale. De son côté, le parti unique ouvre ses rangs aux croyants en 1991.

L’année suivante, peu après l’effondrement du bloc soviétique, les autorités suppriment l’athéisme officiel de l’Etat, qui devient "laïc" dans la Constitution, et éliminent la discrimination pour croyance religieuse, donnant à l’Eglise cubaine "un vif espoir de changement de ton", explique le sociologue.

Jean Paul II consacre deux ans plus tard un homme de consensus à la tête de l’Eglise cubaine, le cardinal Jaime Ortega.

— JEAN PAUL II ET LE RAPPROCHEMENT

Marquées par un profond respect, les relations entre Fidel Castro et le pape polonais vont être déterminantes dans l’évolution des rapports entre l’Eglise et les castristes.

En 1996, le président cubain se rend au Vatican et prend date pour une visite historique du pape à Cuba.

Deux ans plus tard, Jean Paul II appelle "Cuba à s’ouvrir au monde et le monde à s’ouvrir à Cuba" devant un million de personnes, dont Fidel Castro.

En 2010, le cardinal Ortega mène auprès de Raul Castro – qui a succédé à son frère Fidel en 2006 – une médiation pour la libération de quelque 130 dissidents, inaugurant un dialogue politique jamais interrompu depuis.

L’Eglise apporte son appui aux réformes économiques lancées par Raul Castro, qui en retour facilite l’accès de l’Eglise aux médias d’Etat et la diffusion de revues paroissiales.

Après le voyage de Benoît XVI en 2012, les autorités rétablissent le vendredi Saint férié, mais elles restent jusqu’à présent inflexibles sur la question de l’enseignement catholique, principale revendication du clergé local.

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