Cazeneuve: la France « a besoin des Français de confession musulmane pour porter haut et loin ses valeurs »

A la veille du lancement de l’ »Instance de dialogue » avec l’islam, prévu le 15 juin, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a reçu samedi 6 juin au siège de son ministère un panel de lecteurs et d’auditeurs de différents médias, dont Atlasinfo, pour un « moment d’échange franc et sincère » sur des questions liées à l’organisation de l’islam en France, la gestion et la représentativité du culte musulman, ainsi que pour répondre aux inquiétudes des musulmans face à la hausse alarmante des actes et des propos islamophobes au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo.

Par Hasna Daoudi

Durant deux heures d’échanges, une première pour un ministre de l’Intérieur, les questions des lecteurs et auditeurs ont traduit de profondes préoccupations et de multiples interrogations des musulmans de France. Ont été notamment évoqué la formation des imams et des aumôniers, le financement des mosquées, l’abattage rituel et l’épineux dossier du halal, l’échec du Conseil français du culte musulman (CFCM), l’instrumentalisation de la laïcité, la stigmatisation et l’ambiance de suspicion à l’égard des Français de confession musulmane, la responsabilité des médias français dans la diffusion d’une image pétrie de préjugés et de clichés sur les musulmans, alors qu’ils sont les premières victimes des terroristes et des extrémistes qui commettent leurs crimes au nom de l’islam.
D’emblée le ministre de l’Intérieur a voulu fixer le ton de la rencontre: franchise et sincérité. « Cette rencontre permettra d’alimenter ma propre réflexion en étant dans la sincérité. C’est un moment d’échange et non de discours », a-t-il dit aux lecteurs et auditeurs qui n’en demandaient pas mieux.

"La laïcité n’est pas une arme"

Après avoir pointé du doigt les tensions qui traversent la société française, Bernard Cazeneuve a jugé légitime les inquiétudes des musulmans de France, appelant à l’apaisement et au rassemblement afin de "créer les conditions d’une République inclusive de tous ses enfants".
"Nous sommes dans la volonté d’approfondir notre relation avec les Français de confession musulmane", a fait valoir le ministre, indiquant que la future "instance de dialogue", qui sera installé le 15 juin par le Premier ministre Manuel Valls et lui-même, examinera de façon concertée les questions sur la pratique du culte musulman en France dans le respect de la laïcité.
Cette laïcité, a-t-il tenu à préciser, "n’est pas une arme qu’on tourne contre les religions, c’est un outil, un trésor pour que la République soit inclusive de tous ses enfants".
Le ministre a également affirmé que la polémique sur les menus de substitution dans les cantines scolaires pour les enfants ne consommant pas du porc est une polémique qui "n’a rien avoir avec la laïcité", tout comme celle suscitée après des appels interdisant aux femmes voilées d’aller à la plage.
"La laïcité n’empêche pas les repas de substitution. Aller expliquer cet interdit par la laïcité, c’est instrumentaliser une notion contre les seuls musulmans de France", a-t-il déploré, ajoutant que ’s’il faut être "très solide sur les bases de la laïcité" , il ne faut pas en dévoyer les notions qui ont une "signification historique".
"On peut être républicain sans être énervé", a fait valoir le ministre, avant d’ajouter qu’on ne doit pas "abaisser" les valeurs de la République, "sinon ce n’est pas la République, c’est une entreprise de contrefaçon".

L’échec du CFCM

Assailli par des questions portant l’échec du Conseil français du culte musulman, jugé peu représentatif des musulmans de France et défaillant dans la gestion de la formation des imams et aumôniers, l’abattage rituel et la certification halal, le ministre a souhaité un "regard bienveillant" pour "ceux qui veulent construire". "Je pense que le CFCM a fait de son mieux et ne peut être seul comptable des échecs constatés", a-t-il dit.
"J’ai dit aux représentants du CFCM +nous ne ferons pas sans vous, nous ferons avec vous et autour de vous, nous ferons aussi avec d’autres+ qui, dans les régions, les villes, sur les questions cultuelles, ont un apport à faire valoir", a-t-il précisé.
Face à l’avalanche des critiques, le ministre a fini par lâcher : " Je ne veux pas être l’avocat du CFCM mais essayons de créer les conditions d’une dynamique, d’une page qui se tourne, d’une relations qui engage un dialogue puissant avec les Français de confession musulmane pour faire en sorte que cette instance de dialogue réussisse".

Transparence des financements

Sur la question du financement des activités à caractère religieux notamment l’abattage rituel, la certification halal et le financement des mosquées, le ministre a plaidé pour la "transparence" et souhaité que la future "instance de dialogue puisse avancer sur les modalités de transparence sur l’abattage rituel et la construction des mosquées ».

La construction des mosquées comme l’abattage rituel doivent, a-t-il répété, "reposer sur un principe simple : la transparence", tout en estimant qu’ « il y a beaucoup de fantasmes sur ces sujets comme il y a des réalités qui sont parfois ennuyeuses. Il faut travailler ensemble pour faire avancer la transparence".
"Nous aurons beaucoup progressé ensemble si l’instance de dialogue permet de garantir la transparence du financement de ces activités", a-t-il encore souligné.
Interrogé sur le prélèvement d’une taxe sur les activités liées au marché de la viande hallal, qui génère 5 milliards d’euros de chiffres d’affaires en France, afin de financer l’organisation de l’abattage rituel (contrôle des organismes de certification, formation des sacrificateurs…) , Bernard Cazeneuve s’est "tout à fait défavorable". L’Etat "ne peut pas prélever une taxe qui viserait à financer des activités à caractère religieux. En revanche, il est tout à fait possible que les professions s’organisent pour définir entre elles les conditions pour qu’une partie des fonds soient affectés à financer l’abattage rituel", a-t-il proposé.
Quant à la formation des imams, le ministre a réitéré l’impossibilité pour l’Etat d’assurer une formation théologique aux imams. En revanche, a-t-il poursuivi, l’Etat garde un "œil attentif" et "exigeant" sur la formation des aumôniers "parce qu’on les recrute dans nos prisons, dans nos armées, dans notre police".
Bernard Cazeneuve a également évoqué la protection des lieux de culte musulman après la poussée des actes islamophobes. "Nous protégeons en France, par des gardes mobiles ou statiques, près de 800 mosquées, c’est considérable. Et nous le faisons avec fierté", a-t-il précisé.

"vivre intensément" le ramadan

Se déclarant "peiné" par les propos de haine, les amalgames et la stigmatisation dont font les l’objet les Français de confession musulmane, le ministre a assuré qu’il sera intraitable avec leurs auteurs. "Les mots justes doivent être trouvés et les mots pour rassembler doivent être recherchés", a-t-il souligné, appelant à faire le "pari de l’intelligence" pour "faire taire les instincts".
"La République a besoin des Français de confession musulmane pour porter haut et loin ses valeurs", a dit le ministre, avant de souhaiter aux musulmans de France, à la veille du mois de ramadan, de "vivre intensément ce moment".
"Il faut toujours vivre les moments religieux, quelle que soit la religion à laquelle on appartient avec beaucoup d’intériorité, beaucoup de densité, beaucoup de recueillement . Dans ma responsabilité de ministre des Cultes, je participe à des cérémonies à divers moments de la vie de chaque culte, dans les églises, dans les synagogues et dans les mosquées. Je vois énormément de respect, de recueillement, de spiritualité dans ces moments, et un pays comme le nôtre a aussi besoin de spiritualité, et la laïcité permet à chacun de faire le choix de sa religion. Je veux dire aux français de confession musulmane, vivez intensément ce moment, vivez le au plus profond de vous- mêmes", a conclu Bernard Cazeneuve au bout de deux heures d’échanges.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite