Burkini : la plage, ce nouveau champ de bataille

Rares sont les éditorialistes à défendre la liberté de se baigner dans le vêtement de son choix. La plupart voient dans le burkini l’étendard de l’intégrisme.

Après celui de Cannes, le maire de Sisco (Haute-Corse) a pris un arrêté interdisant le burkini sur les plages de sa commune, après les incidents violents de samedi.

« Le burkini fait des vagues », ironise Jean-Christophe Ploquin dans La Croix, qui rappelle qu’en France « chacun(e) est libre de choisir son habillement dès lors qu’il respecte les lois relatives à l’ordre public ». Avant d’estimer que le « burkini a donc droit de cité même s’il ne faut pas être naïf : celles qui le portent défendent souvent une vision communautariste de la vie en société et savent qu’elles exercent une forme de pression sur leur entourage. » Et de conclure, un brin provocateur qu’une « musulmane peut aussi – et c’est tant mieux ! – se baigner en bikini ».

Dans La Voix du Nord, Olivier Berger juge que le burkini fait partie de ces « épiphénomènes » devenus « un étendard ». Pour autant, il estime aussi que, par les arrêtés d’interdiction pris ici ou là, « la laïcité est détournée et gagnerait à se décontracter ». Il relève le paradoxe qu’il y a à interdire la plage aux femmes « dont la tenue troublerait l’ordre public, car non respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité » alors que c’est la « pudeur qui les conduit à cette attitude ». Conclusion : « On devrait pouvoir se baigner librement en France, dans l’appareil de notre choix. Jusqu’au plus simple ! »

« La plage un espace de liberté à défendre »

À l’inverse, le Midi Libre voit dans la plage, un nouvel espace à défendre : « Ce signe ostentatoire, qui annihile le corps des femmes, est naturellement vécu comme une provocation au pays de Chanel et de Brigitte Bardot, écrit Jean-Miche Servant. Une atteinte à la dignité humaine sur laquelle la République ne doit pas fermer les yeux. Cette dérive religieuse, dans un pays traumatisé par les attentats terroristes, peut, en effet, devenir un danger pour l’ordre public. Comme ce week-end en Corse, sur la Côte d’Azur ou dans tous les lieux de baignade qui refusent que le communautarisme ne se fasse une place au soleil. Car, comme l’école publique, la plage est d’abord un espace de liberté à défendre. »

Même fermeté sous la plume de Patrice Chabanet, dans Le Journal de la Haute-Marne : « Il n’y a que les naïfs pour croire qu’il s’agit d’un code vestimentaire comme un autre. Le port du burkini renvoie à une conception intégriste de l’islam qui interdit, entre autres, aux hommes de serrer la main aux femmes. C’est la version balnéaire du voile intégral. Il est ridicule d’en demander l’autorisation au motif que le bikini ou les seins nus sont autorisés sur nos plages. Jusqu’à preuve du contraire, le monokini n’est prescrit par aucune religion. »

« Une stratégie délibérée »

Dans La République des Pyrénées, Jean-Michel Helvig est lui aussi sans états d’âme : « Mais l’incident n’aurait pas dégénéré sur cette plage si, dès le départ, certains n’avaient pas imposé un choix communautariste relevant d’une islamisation des esprits (et des corps) qui n’est pas de nature à accompagner l’intégration des musulmans dans la société […]. Mais n’est-ce pas la stratégie délibérée de cette mouvance ethnico-religieuse, aux ressorts identitaires et non pas violents en l’état, que d’imposer dans l’espace public une singularité musulmane d’abord et sans doute, à terme, dans leur tête, un statut propre ? » Et de déplorer qu’« une fois encore, les femmes [soient] instrumentalisées dans ce combat mené par des intégristes religieux qui, soit dit en passant, ne sont pas gênés, quand il fait chaud, de se promener en bermuda, tongs et polo siglé, au côté de leur compagne suant sous un habillement strict de la tête aux pieds ».

C’est le même raisonnement qui conduit Dominique Jung à réclamer de la république qu’elle défende les femmes jusque sur les plages : « La défense du burkini n’a rien à voir avec le libre exercice de la religion. Elle avance masquée en invoquant la notion de décence, alors que le fond du problème est la condition féminine en général et celle des musulmanes en particulier. Cette condition ayant évolué différemment selon les pays et les cultures, on ne voit pas pourquoi la norme sociale en vigueur en Europe devrait être la plus archaïque. Cela ne concerne pas que le vêtement. Pourquoi les jeunes beurettes nées en France devraient-elles vivre sous la tutelle de grands frères hargneux, convaincus que les femmes de leur entourage sont tenues de se comporter partout comme si elles avaient grandi entre Riyad et le golfe Persique ? »

« Discrétion »

Dans cette dernière polémique vestimentaire, Le Républicain Lorrain voit le signe du traumatisme du pays. « Burkinis et autres signes extérieurs de fondamentalisme islamique sont perçus comme une provocation inutile dans un pays très traumatisé, mais encore disposé à l’apaisement », constate Pierre Frehel. Avant de s’inquiéter : « Pour combien de temps ? Rien n’est acquis. Le baromètre demeure hésitant. Une récente enquête d’opinion montre que la méfiance des chrétiens envers l’islam gagne du terrain. »

La plupart des éditorialistes suggèrent aux musulmans de tenir compte de ce climat : « Puisque le burkini est un point de crispation […] le mieux à faire pour les Français musulmans serait de s’astreindre à une certaine discrétion », comme le leur conseille Jean-Pierre Chevènement, écrit Christophe Lucet dans Sud-Ouest. Même recommandation de la part de Jean-Louis Hervois dans La Charente libre : « Face à la tension entretenue par le terrorisme, la responsabilité de la parole publique peut être écrasante. La culture des réseaux sociaux pousse à tous les amalgames. Les provocateurs de tous bords n’attendent qu’une occasion pour allumer des foyers de violence. Avant Sisco, le burkini a chauffé la toile pendant des semaines. L’interdiction d’une baignade privée dans un parc aquatique des Bouches-du-Rhône devait inévitablement créer une situation sur laquelle le Conseil d’État est appelé à statuer cette semaine. En se disant prêt à accepter la présidence de la Fondation pour l’islam de France relancée par le gouvernement, Jean-Pierre Chevènement conseille aux musulmans français la discrétion dans l’espace public dans une période aussi trouble. Des voix s’élèvent dans la communauté musulmane pour aller dans le même sens. Il faut croire qu’elles seront de plus en plus fortes et de plus en plus nombreuses pour que chacun puisse pratiquer une religion ou pas, et cela en toute liberté. »

(Source AFP)

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