Bruxelles et Ankara au bord de la crise de nerfs

Quand en mars dernier, l’Union européenne avait signé avec la Turquie un gigantesque deal sur le contrôle de l’immigration et des réfugiés syriens, le soupçon de chantage turc colorait déjà les débats en Europe.

Par Mustapha Tossa

Pour jouer le gendarme aux portes de l’UE et filtrer les vagues de réfugiés syriens qui s’abattaient sur ses frontières extérieures, la Turquie exigeait un prix financier et politique. La rondelette somme de 6 milliards d’euros était acquise, plus la levée du système des visas européens sur les citoyens turcs, plus un réexamen de tout le processus d’intégration de la Turquie au sein de l’Union, ralenti et alourdi par les réticences européennes. Ce fut la longue et douloureuse négociation entre Bruxelles et Ankara. Avec parfois de faux suspens et de vrais rebondissements.

Pilote de cet accord, dynamo de cette grande négociation l’Allemagne d’Angela Merkel. Elle l’avait vendu à ses homologues européens réticents comme l’opération la moins coûteuse pour protéger l’Europe des risques de déstabilisations sociales et politiques que pourraient provoquer ces vagues d’immigration en provenance de Syrie. Débats houleux et suspicions manifestes: Comment, s’interrogent les lucides consciences européennes, peut-on sous-traiter notre sécurité à un pays dirigé par un homme autoritaire, aux convictions islamisantes non dissimulées, à la posture politique et aux ambitions troubles ?

L’interrogation paraissait légitime. Erdogan n’a jamais eu bonne presse dans les cénacles de l’Europe. Il incarne aux yeux des grandes consciences européennes ce projet islamisant qui vise à dévitaliser l’expérience laïque turc. Et quand il faut rajouter à ce pédigrée les accointances réelles ou supposées avec Daesh, nouveau label de la terreur mondiale, le portrait de l’homme est lourdement assombri. Au nom de la lutte contre le séparatisme kurde, Erdogan s’autorise toutes les postures autoritaires et liberticides. Quelques icônes de la presse turque en ont payé le prix fort. Ce qui avait royalement irrité et déplu à Bruxelles.

Après de multiples convulsions, L’Union européenne finit par accepter le paquet de négociations turc, même celui à la fois symbolique et polémique de la suppression des visas. Elle l’avait fait en posant des conditions, comme celle de la réforme de la politique de lutte anti terroriste turc pour la rendre plus compatible avec les valeurs de l’Europe. Refus net du président Erdogan sous prétexte que le Turquie subit une double menace terroriste, celle des kurdes et de l’Organisation de l’Etat islamique . "Le sultan d’Istanbul" comme s’amuse à l’appeler la presse européenne, en profite pour limoger son Premier ministre Ahmed Davutoğlu, l’homme architecte des accords avec l’Europe.

Ce coup de force a été mal ressenti par Bruxelles. Elle y voit un signe supplémentaire de l’autoritaire Erdogan de vouloir assoir son pouvoir. Il propose dans la foulée q une réforme de la constitution pour imposer un système présidentiel. Le but de la manœuvre, récupérer l’essentiel des pouvoirs pour peser sur la balance des négociations avec l’Europe et façonner à sa guise la réalité et le devenir de la Turquie. Cette évolution politique turque met en lumières une évolution qui conforte les craintes européennes: Erdogan veut profiter de la crise des réfugiés et du terrorisme pour imposer à l’Europe des concessions inédites. Selon la vision d’Erdogan, l’Union a cédé sur les visas, le contexte d’instabilité et de menaces pourrait la contraindre à avantage de concessions.

Le fait qu’Erdogan menace en termes à peine voilés de revoir le fameux accord avec l’Union sur la crise des réfugiés est de nature à conforter ses détracteurs au sein de l’Union. Les voix qui se sont opposées à ce deal au début prendront de l’ampleur et de la crédibilité. La première conséquence politique directe sera à subir par là chancelière Allemande Angela Merkel qui se trouve sous une salve de critiques de la part de son opposition. Elle aura aussi à rendre des comptes à ses partenaires européens qu’elle avait forcés à avaler la pilule turque au nom du destin et de la thérapie commune à apporter à ce grand déplacement de population en provenance de la crise syrienne.

Pour le moment Bruxelles se contente de se convaincre que les accords signés entre l’Union est la Turquie dépassent largement les personnes et engagent des institutions solides comme L’Etat turc. Une manière de ne pas laisser apparaître une panique quant à la grande problématiques venir : que faire si la Turquie revient sur son accord avec l’Union ?

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