Berlin gêné par le débat sur la circoncision

Le jugement du tribunal de Cologne, qui interdit la pratique, scandalise les musulmans comme les juifs. Le gouvernement promet d’intervenir.

Les propos du rav Pinchas Goldschmidt ont fait trembler jusqu’au gouvernement. «C’est la pire attaque contre la vie juive depuis l’Holocauste. Si l’interdiction de faire circoncire les enfants est maintenue, il n’y a plus de vie juive possible en Allemagne», a-t-il lancé jeudi, alors qu’une quarantaine d’influents rabbins venus d’Europe s’étaient réunis dans la capitale pour débattre de l’avenir du judaïsme en Allemagne, après la décision contestée du tribunal de grande instance de Cologne condamnant les circoncisions religieuses parce qu’elles «portent atteinte à l’intégrité physique de l’enfant».

Pressée par les communautés juive – 200 000 personnes – et musulmane – 4 millions – de prendre position, Angela Merkel ne décolère pas. «Je ne veux pas que l’Allemagne soit le seul pays au monde dans lequel les juifs ne peuvent pratiquer leurs rites. Sinon, on passerait pour une nation de guignols», aurait dit la chancelière devant des cadres de la CDU. Le gouvernement, soutenu par la quasi-totalité de la classe politique, a promis rapidement une loi qui autoriserait les circoncisions religieuses, tout en maintenant l’interdiction de l’excision.

«Intégrité physique». «Si la circoncision n’est pas rapidement clairement autorisée par la loi, les juifs devront quitter l’Allemagne. Quel gâchis ! La communauté juive venait tout juste de retrouver un certain dynamisme», regrettent Rachel et Kai. Dans le salon de leur petit pavillon d’un quartier chic de Berlin, Samuel, 4 ans, joue avec sa sœur Amelie. «Samy avait tout juste huit jours lorsque le mohel que nous avions fait venir de Suisse l’a circoncis, raconte son père. Samy a à peine pleuré. A cet âge, ils sont si petits qu’ils ne subissent pas de traumatisme.» Le tribunal de grande instance de Cologne en a décidé autrement. «Le corps d’un enfant est modifié de façon durable et irréparable par la circoncision, ont estimé les juges. Cette modification est contraire à l’intérêt de l’enfant, qui doit décider par lui-même de son appartenance religieuse… Le droit d’un enfant à son intégrité physique prime sur le droit des parents en matière d’éducation religieuse.» Pour les circoncisions religieuses, les magistrats considèrent qu’il faut attendre la majorité religieuse, fixée à 14 ans. La circoncision à des fins médicales reste légale.

Les juges de Cologne devaient se prononcer, en appel, sur le cas d’un médecin musulman de la ville qui avait pratiqué dans son cabinet la circoncision d’un garçon de 4 ans. La mère de l’enfant avait dû conduire son fils aux urgences à la suite de saignements. Les médecins de l’hôpital, pensant avoir affaire à une circoncision «sauvage», pratiquée sans respect des règles, avaient alerté la justice, conformément à la loi allemande, très stricte sur les droits des enfants. Un jugement surréaliste pour la communauté juive d’Allemagne où la circoncision, symbole du pacte conclu entre Dieu et son peuple, doit être pratiquée au huitième jour. Dans les rues de Neukölln, un quartier de la capitale à forte minorité turque, c’est la même consternation. Erkan, futur papa d’un petit garçon qui doit naître en novembre, se sent insulté par les juges. «Ici, on ne nous respecte pas, on ne respecte pas nos traditions. On a toujours pratiqué la circoncision, pour des raisons religieuses, mais aussi d’hygiène et de santé. Mon fils sera circoncis. S’il le faut, nous attendrons l’été et les vacances en Turquie», s’exclame le jeune homme.

Flou juridique. 1 300 enfants sont circoncis chaque année à Berlin. La plupart sont musulmans, 150 sont juifs. L’hôpital juif de Berlin, qui pratiquait 300 circoncisions par an, a suspendu ces actes «jusqu’à ce que la situation juridique soit clarifiée». Les médecins redoutent, depuis le jugement de Cologne, de ne plus être couverts par leurs assurances en cas de complications. Une porte-parole du ministère de la Justice a pourtant rappelé hier que «la décision du tribunal de Cologne n’a pas de portée jurisprudentielle sur l’ensemble du territoire de la république fédérale». Mais elle reconnaît que d’autres juridictions du même niveau peuvent prendre des décisions similaires dans d’autres länder.

Le jugement est presque unanimement condamné. Seuls l’association de protection de l’enfance Kinderhilfswerk, les néocommunistes de Die Linke et une poignée de juristes de l’ouest du pays se félicitent de la controverse. En 2008, ces juristes, autour de l’influent professeur de droit Rolf Dietrich Herzberg, lançaient un débat resté longtemps discret, s’étonnant que la justice allemande ne se soit jamais prononcée sur la question, laissant le corps médical dans un véritable flou juridique. Quelques intellectuels musulmans se mêlent au débat. Plusieurs écrits dénoncent la circoncision pratiquée sans anesthésie sur des enfants terrorisés, «trahis par leurs parents au nom de la religion». L’écrivaine d’origine turque Necla Kelek prend position avec Plaidoyer pour la libération de l’homme musulman. «A chacune de mes visites chez le barbier pour me faire couper les cheveux, enfant, j’avais des sentiments mitigés, se souvient l’écrivain irakien Najem Walli dans une tribune libre au quotidien de gauche Taz. J’étais à la fois fier d’être là, et inquiet de mourir un jour, comme mes deux oncles, chez le barbier Qâsim. Finalement, ce n’est pas Qâsim qui m’a circoncis, mais le chirurgien le plus réputé de la ville. Je m’en souviendrai toute ma vie… Mon père m’avait dit que je serais anesthésié. Il n’y a pas eu d’anesthésie. Ce n’était pas une circoncision. Ça a été ma première rencontre avec la torture.»

Le fait que ce soit précisément l’Allemagne qui ait, sans vraiment le vouloir, pris l’initiative de croiser le fer avec le judaïsme, provoque une certaine incompréhension, voire l’indignation. «Les antisémites nazis haïssaient les juifs circoncis, et voici que l’Allemagne humaniste, au nom des bons sentiments, remet à son tour la circoncision à l’index», s’émeut le philosophe Alain Finkielkraut dans le Point. «Que la circoncision soit inscrite au chapitre des mutilations est évident. Elle l’est au même titre que chaque acte chirurgical», estime le juriste Hans Michael Heinig, pour qui la décision de Cologne est «une erreur politique et judiciaire qui plonge musulmans et juifs dans l’incertitude». «Il faut garder son sang-froid, tente le juriste Christian Pestalozza, de l’Université libre de Berlin. Ce jugement a le mérite de mettre le doigt sur un problème non réglé. Bien sûr, d’autres rites pourraient être jugés comme préjudiciables à l’enfant. Le baptême, par exemple, qui fait pleurer les bébés. Mais il n’y a pas là d’effet irrémédiable comme avec la circoncision. L’idéal serait que les communautés religieuses aident à formuler une future loi. On pourrait imaginer une circoncision symbolique, comme cela se fait, je crois, en partie en Grande-Bretagne.» La circoncision symbolique d’une carotte, évoquée par certains en Allemagne, est encore très loin de faire l’unanimité.

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