Benkirane: le blocage m’a tuer

Soulagement général après la décision du roi Mohammed VI de renvoyer le Premier ministre à ses petits calculs politiciens. Avec le temps qui passait, les interrogations et les froncements de sourcils fusaient de partout. Comment se fait-il qu’après cinq mois de négociations et de tergiversations, le Premier ministre islamiste Abdelillah Benkirane n’a pas réussi à former un gouvernement à la hauteur des enjeux et des défis qu’affronte le Maroc?

Par Hasna Daoudi

Un communiqué royal a annoncé hier soir que le roi Mohammed VI, "garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat" et gardien du "respect de la constitution [et du] bon fonctionnement des institutions constitutionnelles", a déchargé M. Benkirane de sa mission de former un gouvernement. Il est de notoriété publique que le Premier ministre a largement contribué tout au long de ces cinq mois de tractations à un pourrissement de la situation et à un blocage devenu intenable.

Lui, qui a placé son ego avant la raison d’Etat, multipliait les déclarations intempestives et irresponsables fermant la porte à toute sortie de crise.

S’il est vrai que former un gouvernement basé sur une coalition de partis, souvent hétéroclites, est un exercice qui nécessite un subtil dosage et de fines tractations, les tonalités qu’ont prises les négociations pour le faire naître ont été plus une source d’inquiétude qu’un indicateur d’intelligence politique. Les coups d’éclats et de mentons incendiaires qu’ont montré d’abord le couple Benkirane/ Chabat de l’Istiqlal et puis sourds de l’impossible duo Benkirane/Lachgar de l’USFP, ont illustré la grande difficulté pour le patron du PJD d’être ce chef d’orchestre capable d’aligner un exécutif cohérent et efficace.

Face à cette situation qui commençait sérieusement à poser problème notamment sur le plan économique, Mohammed VI, en application des dispositions de la Constitution, a décidé de choisir une autre personnalité issue du même parti que M. Benkirane, le PJD, arrivé en tête aux élections législatives du 7 octobre 2016.

Cette décision salutaire va enfin mettre un terme à un énorme gâchis. L’expérience politique marocaine est régulièrement saluée dans les forums internationaux comme un modèle régional à suivre et pourquoi pas à dupliquer, voire que le chef du gouvernement se montre incapable d’un consensus sur une formule qui aboutirait à un gouvernement fort et crédible était de nature à polluer cette image et à doucher les enthousiasmes.

Il est vrai que ce blocage a aussi un coup économique et politique. Quoi qu’en disent les forcenés de l’optimisme, le pays marche au ralenti. Sa dynamique économique s’en trouve refrénée. Sans compter que ce grand retard à base de petits calculs politiciens, fruit souvent d’un mélange d’incompétence et de manque de hauteur de vue, est de nature à dévaloriser la chose politique et à grossir les rangs de l’abstention qui, déjà au fil des scrutins, avait montré qu’elle battait d’inquiétants records.

La persistance de ce blocage était de la responsabilité directe du Premier ministre chargé par le roi Mohamed VI au lendemain des élections législatives de former un gouvernement. M. Benkirane, à force de zigzags, de va et vient, d’incohérences politiques, a contribué largement à un blocage préjudiciable pour le pays, et a démontré qu’il n’était pas cet homme orchestre capable d’insuffler une nouvelle dynamique à l’action gouvernementale. Ce long et interminable blocage a définitivement montré les limites de son influence et porté un coup dur à son aura et à sa crédibilité.

Persister dans ce blocage comme s’il n’y avait aucune urgence, comme si le Maroc pouvait impunément faire durer le provisoire, était de nature à porter atteinte, en fin de compte, à l’ensemble de l’expérience marocaine à un moment clé où le Royaume s’engage dans des responsabilités continentales, et au moment où le contexte régional et international risque de connaître d’éclatantes accélérations.

Le roi, qui a soutenu à bout de bras Abdelillah Benkirane, a fait le choix de préserver les intérêts supérieurs de la Nation et de sauver un processus démocratique qui s’asphyxiait sous les humeurs maussades ou colériques du désormais ancien Premier ministre.

Selon le cabinet royal, Mohammed VI "recevra dans le délai le plus proche" une personnalité politique du PJD et la "chargera de former le nouveau gouvernement", a indiqué le palais. Une décision qui "montre que le souverain souhaite respecter, garantir et conforter la logique démocratique", a déclaré un haut responsable marocain.

Le PJD tiendra samedi son conseil national pour désigner la personnalité qui remplacera M. Benkirane. Trois noms sont avancés: Saad-Eddine El Othmani, Mustapha Ramid et Aziz Rabbah, respectivement N.2 du parti islamiste, ministre sortant de la Justice et ancien ministre de l’Equipement.

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