Béji Caïd Essebsi, candidat à l’élection présidentielle en Tunisie

A 87 ans, Béji Caïd Essebsi, dit BCE, n’a rien perdu de son redoutable sens de la répartie ni de la vivacité de son esprit. Lors d’une rencontre avec des journalistes à Paris dont Atlasinfo, jeudi 30 janvier, le Premier chef de gouvernement de la Tunisie post-Ben Ali, fondateur en 2012 du parti Nidaa Tounes, compte bien le prouver en se présentant à la future élection présidentielle tunisienne. L’ancien ministre de Bourguiba s’est par ailleurs félicité de l’adoption de la nouvelle Constitution et a précisé que l’actuel président Moncef Marzouki « n’y est pour rien ». Sur le nouveau gouvernement, BCE a indiqué qu’il sera jugé sur ses résultats.

Par Hasna Daoudi

Béji Caïd Essebsi ne fait pas mystère de sa décision de se présenter à l’élection présidentielle en Tunisie. Il met juste les formes en déclarant : « S’il n’y a pas un meilleur candidat que moi, je serai candidat », avant d’ajouter « Si je suis en bonne santé et en vie ». « Chaque fois que mon pays est dans une mauvaise passe, je réponds présent », tient encore à rappeler BCE.

Qu’en-est-il de la Tunisie au lendemain de l’adoption de la nouvelle Constitution et la formation d’un nouveau gouvernement apolitque, dirigé par Mehdi Jomâ, M. Essebsi estime que la Tunisie « semble s’orienter vers une sortie honorable de la situation dans laquelle elle s’est enlisée depuis deux ans ». « Ces deux dernières années, nous avons franchement reculé de deux siècles », regrette-t-il.

« Nous ne sommes pas loin d’un régime démocratique même si on ne peut pas s’entendre sur la définition exacte de mot démocratie », note toutefois le chef de l’opposition tunisienne.

Pour BCE, les islamistes ont géré le pays deux années durant. « C’était une gestion catastrophique ». Ce jugement sans appel se justifie par une grave détérioration de la situation politique, sécuritaire, économique et sociale. « La Tunisie était au bord de la cessation de paiement ».

Le nouveau gouvernement sera scruté

Sur le nouveau gouvernement, BCE met l’accent sur deux points : "indépendant et technocrate". « C’est une très bonne chose », dit-il. Ce n’est pas pour autant qu’il signe un blanc-seing au Premier ministre Mehdi Jomaâ. "J’espère que le gouvernement répondra aux attentes du peuple tunisien sur les questions du chômage, de la pauvreté et de la sécurité qui s’est considérablement détériorée". "Il n’est pas question d’attendre le Graal", lance-t-il d’un ton grave.

Les frontières avec l’Algérie et la Libye, autre source de préoccupations sérieuses, inquiète M. Essebsi. « Nous avons un terrorisme qui n’est pas dans la tradition de la Tunisie ».

« Nous sommes en train de nous en sortir. Mais ce n’est pas encore gagné. J’ai joué un grand rôle dans tout cela », se félicite-il, avant de reconnaître qu’ « Aujourd’hui la Tunisie est moins menacée mais elle n’est pas sauve. Nous n’étions pas loin du désordre ».

« Nous avons fait quelque chose de civilisée. Ce n’est pas facile d’être civilisé à notre époque. On avait instauré un dialogue national. Les islamistes n’avaient pas le choix. Il valait mieux avoir le doigt coupé que la main entière », martèle-t-il.

L’exemple égyptien, un repoussoir

Récusant le discours des islamistes d’Ennahda selon lequel ces derniers avaient cédé volontairement le pouvoir pour faciliter la sortie de crise, BCE souligne les « grandes réticences d’Ennahda ». « C’est moi qui aie convaincu Ghannouchi de se joindre au dialogue national. Il a fini par le faire. Il a eu de gros problèmes avec ses ouailles mais il a tenu le coup », poursuit-il, avant de préciser que le « but n’était pas d’humilier Ennahda mais de sortir la Tunisie de la crise », fortement aggravée par l’assassinat des deux députés de gauche, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Des crimes non encore entièrement élucidés.

Pour le chef de l’opposition, l’exemple égyptien a agi comme un repoussoir. « Ce qui s’est passé en Egypte n’est pas étranger au succès de la Tunisie. Parce que c’état ça ou ça. Nos frères égyptiens nous ont aidés de façon indirecte. Nous avons, peut-être, aussi des islamistes plus pratiques, plus pragmatiques ».

Selon BCE, la « fuite de Ben Ali a rendu un grand service à la Tunisie », offrant ainsi l’occasion à la Tunisie d’entamer son propre chemin vers la bonne gouvernance et l’Etat de droit. « La révolution a amené la liberté d’expression et le peuple doit utiliser cette liberté de parole retrouvée », souligne-t-il, tout en indiquant que cela doit s’accompagner de mesures économiques urgentes pour remédier à la grave situation qui prévaut dans ce secteur vital. Pour appuyer son propos, il n’hésite pas à citer un "proverbe français" : « vendre creux n’a point d’oreilles ».

Mais selon lui, l’effet d’annonce de la formation d’un gouvernement va créer un nouveau climat. "Le dinar a remonté. La bourse s’est remuée. Ce sont des signes précurseurs d’un nouveau départ et le prêt accordé aujourd’hui par le FMI est un acte de confiance".

BCE craint toutefois que les islamistes d’Ennahda ne résistent pas à la tentation de compliquer la tâche. « En conservant toujours une majorité relative au sein de la Constituante, ils peuvent encore sévir ». Pour renforcer son propos, BCE cite cette fois-ci le grand Ibn Khaldoun : "Lorsque ce genre de personnes montent au pouvoir, ils ne descendent qu’avec la force".

Le retour des « fellouls »

Sur le retour des Benalistes au devant de la scène politique tunisienne, objet d’une forte polémique lors de la composition du nouveau gouvernement, M. Essebsi relativise : « Il n’y a pas des gens de Ben Ali. Il n’y a que des Tunisiens. Il y a des bons et des mauvais. C’est la justice qui doit dire son mot pour ces derniers ».

« Tous les autres sont des citoyens qui ont le droit de participer à la vie politique publique et personne ne peut leur retirer le droit d’y participer. Si on leur retire ce droit, c’est comme si on leur retire le droit à la citoyenneté ou la nationalité. Et personne n’a le droit de le faire. Ni Ennahda, ni aucun autre parti. Hormis la Justice », relève-t-il.

Selon lui, le parti du président déchu Ben Ali a été dissous. Certes, il comptait des milliers de personnes mais « ce ne sont pas tous des fellouls ». « Il doit y avoir une centaine. On ne va pas les garder. Même eux n’osent pas s’avancer ». « Il ne faut pas exclure, c’est très mauvais », prévient-il.

Les chances de Nidaa Tounes aux élections

Concernant les prochaines élections, qui se tiendront probablement au mois d’octobre, M. Caïd Essebsi se déclare confiant sur les résultats de son parti. « Nous sommes le parti majoritaire, selon les sondages. Nidaa Tounes a rétabli l’équilibre sur la scène politique tunisienne, qui avait été rompu par Ennahda», pronostique BCE, tout en laissant de côté la question d’éventuelles alliances. « Il nous faut avoir les résultats avant de nous prononcer ».

Revenant sur Moncef Marzouki qui « n’est pour rien dans l’adoption de la nouvelle Constitution », M. Essebsi fustige la publication de son livre-réquisitoire dans lequel le président dénonce les journalistes-courtisans qui ont servi Ben Ali, qu’ils soient tunisiens ou étrangers.

Béji Caïd Essebsi n’est guère tendre avec le commanditaire du livre. « Ceux qui ont publié ce livre ont réellement un problème de structure mentale », juge-t-il lapidaire. « Ce n’est pas dans l’intérêt de la Tunisie de commencer à régler des comptes. Nous, nous n’allons pas suivre ce même chemin déplorable », dit-il, en réponse à une question sur l’éventualité d’un rapport sur des « exactions commises » par Ennahda.

En revanche, il note sévèrement que le patron d’Ennahda, Rached Ghannouchi, « ne s’est même pas levé lors de l’adoption de la Constitution » à l’instar de la majorité des députés qui, debout, ont chanté l’hymne national.

Evoquant son mentor, le président Bourguiba, M. Caïd Essebsi qui se définit comme un « bourguibien » ne donne pas l’impression de vouloir s’en inspirer complètement dans son action politique. « La Tunisie de l’époque de Bourguiba est différente de celle d’aujourd’hui ».

« En ces temps là, notre première préoccupation était de combattre l’analphabétisme. Aujourd’hui, nous combattons les gens qui ont des diplômes. Parmi les 700 000 chômeurs, il y a 300 000 qui ont des diplômes supérieurs. Chaque époque a ses données et ses solutions appropriées pour régler les problèmes qui se posent », constate-t-il.

Est-ce de la lucidité ou une volonté de marquer de son empreinte l’histoire de son pays ? Ou les deux à la fois ?

Bouteflika a « toute sa tête »

Avant de conclure, Béji Caïd Essebssi livre une confidence sur la santé défaillante du président algérien Abdelaziz Bouteflika et ses intentions politiques, lesquelles font couler beaucoup d’encre des journaux et autres diplomates des deux rives de la Méditerranée. Bouteflika a, selon lui, "toute sa tête" et il compte bien rempiler pour un quatrième mandat. Allluia !

« Je l’ai rencontré il y a un peu près un mois et demi. Il m’a invité et nous avons parlé pendant deux heures. Il a toute sa tête. Et d’après ce que j’ai compris, il va se présenter», confie M. Essebsi. Prudent, il finit tout de même par lâcher: "Mais physiquement, je n’en sais rien".

Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis quatorze ans , a été à nouveau hospitalisé à Paris, le 14 janvier dernier. il avait été hospitalisé d’urgence au Val-de-Grâce en avril dernier à la suite d’un accident vasculaire cérébral (AVC). Il avait ensuite été transféré à l’Institution nationale des Invalides à Paris, spécialisé dans la prise en charge du grand handicap où il était resté jusqu’au 16 juillet, avant de rentrer en Algérie.

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