Bachar al-Assad, un second souffle trompeur

Donné pour perdu, le dictateur a certes renversé la situation mais au prix d’une politique de renforcement des extrêmes qui atomise le conflit.

Fini les certitudes de la chute prochaine du régime de Bachar al-Assad qu’ils affichaient encore il y a peu. Américains et Européens ne furent pas les seuls à se tromper. En Israël, où l’on suit attentivement les événements syriens, l’armée et les services secrets furent longtemps persuadés de l’imminence de la chute du dictateur. En juin 2011, soit trois mois après le début de la révolte, le chef d’état-major des forces armées, Benny Gantz, affirmait : «Assad lui-même ne sait pas à quoi ressemblera la Syrie à la fin de cette semaine ou de la prochaine. L’incertitude le perturbe comme elle nous perturbe.» L’année suivante, Lakhdar Brahimi, l’émissaire spécial de l’ONU en Syrie, adressait oralement cette supplique au dictateur syrien afin de le pousser à chercher une solution politique à la crise : «Vous allez perdre ! L’opposition va gagner mais ce sera au prix de la destruction de Damas.» Ce à quoi son interlocuteur répondit : «Non, c’est exactement l’inverse qui va se produire. Je vais l’emporter et c’est l’opposition qui va perdre. C’est vrai que ce sera au prix de la destruction de Damas.»

En fait, Bachar al-Assad n’a pas gagné mais personne ne se risque plus à prédire sa chute. Sur le terrain, il a remporté une nette victoire en reprenant la petite ville stratégique de Koussayr, près de la frontière libanaise. La rébellion, elle, a échoué à avancer sur le centre de Damas et se trouve encerclée dans la plaine de la Ghouta orientale. Elle est aussi en recul à Alep. Mais, même si le régime a repris Homs, il ne contrôle toujours pas le corridor stratégique qui relie Damas à la bande côtière – où la communauté alaouite, globalement acquise au clan au pouvoir, est majoritaire.

Piège. Ce second souffle que Bachar al-Assad a retrouvé, il le doit d’abord à sa politique visant à faire monter les extrêmes. D’emblée, il a cherché à faire tomber l’opposition dans le piège de la lutte armée en faisant mitrailler systématiquement les manifestations pacifiques du début de la révolution. Une stratégie qui a amené à la création de l’Armée syrienne libre (ASL) et, inévitablement, à la guerre civile. Puis, il a diabolisé l’opposition en la décrivant comme une coalition de groupes jihadistes manipulés par l’étranger, tout en favorisant les groupes les plus fanatiques qui, par leurs exactions, ont fini par discréditer toute l’opposition armée. «C’est étonnant de voir les appareils du régime survoler les positions de l’Etat islamique en Irak et au Levant [EIIL, le plus fanatique des groupes islamistes, ndlr] sans rien faire et bombarder avec des barils de pétrole enflammés les populations civiles 20 km plus loin», soulignait hier un diplomate occidental. Opération réussie puisque, aujourd’hui, les groupes islamistes ont fait main basse sur la rébellion, l’ASL apparaissant très minoritaire. Là encore, la stratégie a été payante : la montée en puissance des groupes radicaux a conduit les pays occidentaux à voir la Syrie comme la terre du jihadisme global et, dès lors, à renoncer à fournir la moindre assistance militaire à l’insurrection modérée dans la crainte qu’elle tombe entre les mains des jihadistes. A suivi l’entrée en lice du Hezbollah et des volontaires chiites irakiens qui, d’une part, ont transformé la guerre civile en conflit régional, et, d’autre part, ont fait de la Syrie une terre de confrontation chiites-sunnites.

Nu. Mais ce renforcement d’Assad est trompeur. Sans ces groupes extérieurs, le raïs est nu. «Il est dans une fuite en avant qui ne mène nulle part. Ce que l’on peut observer, c’est la transformation du régime, qui a été incapable de mettre sur pied une véritable armée, en une collection de milices qui se substituent à lui. Mais est-ce que des milices peuvent gagner une guerre ? Tout au plus peuvent-elles conquérir des check-points mais elles ne pourront jamais reconquérir tout le territoire, souligne un politologue occidental. En fait, il n’y a aucune stratégie ni du régime ni de l’opposition.» La faiblesse de cette dernière, son incapacité à remplir son rôle historique, ses innombrables rivalités internes, son absence de programme n’ont pas été non plus pour rien dans l’illusion d’un Assad maître du jeu.

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