BCE, Marzouki, Ghannouchi, la somme des peurs tunisiennes

Sans grande surprise, le premier tour des présidentielles tunisiennes était fidèle à la plupart des pronostics. Beji Caïd Essebssi (BCE) qui mène en tête, suivi par le président en titre à la recherche d’un second mandat, Moncef Marzouki. D’ailleurs comment pouvait-il en être autrement quand on sait qu’à la tête du tout nouveau parti Nidaa Tounes, BCE s’était imposé lors des législatives comme la première force politique du pays, tandis que même laminé à ces mêmes législatives, Marzouki a bénéficié du soutien tacite d’Ennahda de Rached Ghannouchi.

Par Mustapha Tossa

Autant les élections législatives avaient montré un fractionnement du paysage politique tunisien, autant les présidentielles, par nature, ont mis en exergue sa bipolarisation. Entre deux profils, entre deux approches qui chacune avait incarné une angoisse et par définition une espérance. Le premier Beji Caïd Essebssi a campé le personnage de ce grand recours auquel on fait appel quand les fondements de la Tunisie sont menacés par une subversion islamisante. Le second Moncef Marzouki qui, à défaut de faire lustrer son bilan, a tenté d’incarner le défenseur exclusif des acquis de la révolution qui avait chassé Ben Ali du palais de Carthage.

Ce combat entre des deux icônes, l’un voulant restaurer l’autorité de l’Etat mis à mal par la gouvernance Ennahda, l’autre voulant barrer la route au retour des symboles de l’ancien régime, avait attiré un taux de participation respectable. Et selon toute vraisemblance, la jeunesse tunisienne n’a pas provoqué d’embouteillages devant les bureaux de vote, sans doute déçue par l’offre politique qui l’astreint à choisir entre un président accusé d’avoir désacralisé la fonction présidentielle, et un vieux cheval de la politique tunisienne revenu dans la course à la grâce d’une montée d’angoisses et d’inquiétudes pour l’avenir de la Tunisie.

Un second tour est dont nécessaire pour départager les deux hommes. Sans doute BCE confirmera sa performance. Mais entre-temps les tractations pour former un gouvernement occuperont les semaines qui nous séparent de ce second tour, avec cette grande inconnue…Rached Ghannouchi et Ennahda qui n’ont pas donné de consigne de vote pour le premier tour sortiront-ils de leur silence pour soutenir clairement Marzouki et tenter de faire mentir les sondages et les prévisions? L’apparente neutralité d’Ennahda a semble-t-il profité aux deux candidats…Conforter BCE et mettre en orbite Marzouki… Sur le papier le jeu est plié mais la Tunisie n’est pas à l’abri de surprises.

En effet, en Tunisie, alors que les feux de la présidentielle scintillent de tous leur éclats dans l’attente d’un second tour, il y un homme qui a marqué de son empreinte la scène politique tunisienne, c’est le leader du mouvement islamiste tunisien Ghannouchi. L’homme est au cœur d’une approche politique qui a évité a la Tunisie la tentation de sombrer dans la violence et l’affrontement et d’entamer une séquence de transition relativement pacifiée à travers des législatives puis des présidentielles.

La capacité à évoluer de Rached Ghannouchi s’est faite en plusieurs étapes et sous de multiples contraintes. Elle en avait fait à la fois un homme original et décisif. Dans le sillage du printemps arabe et au lendemain de la chute de Régime de Ben Ali, Ennahda renaît de ses cendres et sort de sa longue clandestinité. Ghannouchi revient de son exil londonien auréolé de son combat politique contre le régime policier tunisien. Il rafle les attentes des tunisiens et incarne pendant un moment l’espoir du changement, de la réforme et de la stabilité..

Mais au contact du pouvoir, Ennahda montre ses limites. D’autant que dans l’euphorie de l’accession des islamistes au pouvoir, Ghannouchi est dépassé sur sa droite par des mouvements plus extrémistes qui veulent imposer à la Tunisie l’abandon de ses acquis sociaux et politiques et installent par conséquent une atmosphère d’insécurité. L’apparition des assassinats politiques en la personne de Mohammed Brahmi et Chokri Belaïd sonna le tocsin du compte à rebours pour Ennahda et son éventuel crépuscule politique.

Une mobilisation sans faille des Tunisiens conjuguées aux événements décisifs de l’Egypte qui ont vu les militaires emmenés par Le général Abdelfatah Sissi destituer et emprisonner le président islamiste démocratiquement élu Mohamed Morsi ont créé une onde de choc en Tunisie. Rached Ghanouchi se trouvait devant deux hypothèses: ou continuer le bras de fer avec l’opposition laïque, de gauche au risque d’aboutir à une irréparable fracture tunisienne, ou reculer et négocier un nouveau contrat politique pour continuer à exister. La véritable intelligence de Ghannouchi et son incontestable pragmatisme lui dictèrent le second choix. D’où les conditions d’organisation des législatives, Ennahda ayant expurgé ses rangs des éléments les plus clivants, d’où l’organisation d’élections présidentielles sans candidat déclaré d’Ennahda. Rached Ghannouchi a fait le choix de durer en étant incontournable au lieu d’occuper les premières lignes en risquant de sauter à n’importe quel moment….

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