Avec un seul sein, les Amazones marocaines refusent la reconstruction chirurgicale

Narjis Rerhaye (A Rabat)

« 90% de mes patientes qui subissent une ablation du sein ne veulent pas d’une reconstruction chirurgicale ». Dans le cabinet de ce célèbre chirurgien cancérologue de la région de Rabat, les femmes qui ont subi une mastectomie se confient aisément. « Je vis très bien avec un seul sein. Tout ce que je veux, c’est être en bonne santé et ne plus avoir à revivre cela », chuchote Fatima, la cinquantaine.

Au Maroc, le cancer du sein arrive en tête chez les femmes avec 36%. Il est suivi de celui du col de l’utérus qui se situe à 11,2%. Les dernières statistiques du ministère de la santé, dévoilées ce 22 novembre à l’occasion de la journée nationale de lutte contre le cancer, indiquent que plus de 1.616.481 femmes ont bénéficié du test de dépistage du cancer du sein (soit un taux de participation de 32.8%). Résultat, 1.238 cancers ont été diagnostiqués en 2016 au dépistage. « C’est justement grâce au dépistage et au diagnostic précoce que le taux d’ablation du sein est de plus en plus faible », fait remarquer cette blouse blanche.

Ici, Les patientes qui ont eu à vivre la douloureuse épreuve de l’ablation du sein apprennent souvent à vivre avec cette asymétrie. Et finissent par l’assumer, faisant définitivement le deuil de ce sein. Une reconstruction chirurgicale du sein leur est pourtant proposée. Elle est d’ailleurs possible dès la fin du traitement, généralement au bout de six mois. L’opération est prise en charge par les caisses de maladie. « Dans la majorité des cas, les femmes que j’ai opérées n’en veulent pas. Les raisons de ce refus sont multiples. Elles tiennent parfois du religieux quand elles me disent que Dieu en a voulu ainsi. Il y a aussi la peur du bloc et d’une nouvelle opération. Elles ne veulent pas revivre cela. Enfin, des raisons psychologiques sont aussi derrière ce refus de la reconstruction du sein. Une ablation du sein suivie d’une chimiothérapie et d’une radiothérapie peuvent plonger dans la dépression », témoigne ce chirurgien cancérologue, spécialiste du cancer du sein.

Dans cette clinique de Rabat, Saida vient de subir une reconstruction de son sein gauche. Elle a 30 ans et elle fait partie de ces femmes qui peuvent en bénéficier immédiatement après l’ablation. « D’ailleurs la reconstruction chirurgicale est la plus fréquente en cas d’ablation dans le cadre d’un cancer multifocal ou au stade 1 », indique notre interlocuteur avant de faire remarquer que là encore « la majorité des femmes qui ont recours à la reconstruction refusent la reconstitution du mamelon. Elles veulent juste le volume, histoire d’équilibrer leur buste. Et généralement, elles sont jeunes ».

Dans la grande salle d’attente de ce cabinet de la région de Rabat, les femmes ne font même plus attention à leur buste. Certaines bombent fièrement cette poitrine asymétrique. Comme une victoire contre la maladie. Des Marocaines qui font partie de la grande famille des Amazones. La légende raconte que ces femmes guerrières se coupaient le sein pour mieux tirer à l’arc. « J’ai subi une mastectomie. J’ai fais le deuil de mon sein. Je l’ai enterré avec mon cancer. Maintenant je revis », conclut Zoubida, en guerrière convaincue.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite