Avec le « rhinocéros en or », l’Afrique du Sud redécouvre son histoire

Le gouvernement sud-africain d’apartheid l’a toujours méprisé, pourtant c’est un trésor: "le rhinocéros en or", une superbe figurine du XIIIe siècle, symbole de la civilisation pré-coloniale, est aujourd’hui convoité par les plus grands musées du monde.

Ce rhinocéros en or, décrit par les experts comme l’équivalent sud-africain du masque de Toutankhamon, pourrait être exposé à l’étranger pour la première fois en 2016 lors d’une exposition au British Museum de Londres.

Il est actuellement visible dans une petite galerie sombre du musée de l’université de Pretoria.

Cette délicate sculpture de 15 cm de long et d’un poids de 42 grammes est étonnamment bien conservée: la précieuse corne de l’animal, son corps et ses fines oreilles sont quasiment intactes.

Pour l’instant cependant, le gouvernement sud-africain réfléchit toujours à la possibilité d’envoyer le rhinocéros à l’autre bout du monde. "Cette question est en négociation et n’a pas encore été réglée", a indiqué le ministère sud-africain des Arts et de la Culture à l’AFP.

"Je pense qu’à cause du passé colonial, les Sud-Africains sont inquiets de voir leur héritage quitter le pays", estime Sian Tiley-Nel, conservatrice du musée de l’université de Pretoria. "Mais il s’agit juste d’expositions temporaires, les objets reviendront", ajoute-t-elle.

Bronzes du Bénin, coiffes ougandaises confectionnées à partir de vrais cheveux: la vaste collection africaine des musées européens fait régulièrement l’objet de polémiques.

En août, le président zimbabwéen Robert Mugabe avait sommé le Musée d’histoire naturelle de Londres de rendre des crânes de combattants africains datant du XIXème siècle.

"Assurément, garder des têtes décapitées comme des trophées de guerre, de nos jours dans un musée d’histoire nationale doit figurer parmi les pires formes de racisme, de décadence morale, de sadisme et d’insensibilité", avait condamné M. Mugabe.

– Royaume perdu –

Le rhinocéros en or a été découvert en 1932 par des chasseurs de trésors, dans les collines de Mapungubwe, une zone rocailleuse de la province du Limpopo dans le nord de l’Afrique du Sud.

Au milieu des baobabs qui pullulent dans la région, ils avaient trébuché sur les ruines d’un cimetière accueillant les restes des élites d’un royaume perdu, véritable zone-clé du commerce de l’ivoire et de l’or avec l’Egypte, l’Inde et la Chine au début du XIIIe siècle.

Une partie du butin, y compris le rhinocéros mais aussi un léopard et plusieurs colliers en or, avait été remise à l’université de Pretoria.

Mais l’importance de ces splendides objets a été ignorée tant par le gouvernement colonial que par celui de l’apartheid, qui soutenaient que les populations africaines pré-coloniales n’étaient composées que d’êtres primitifs.

Ces sculptures en or remettaient en cause leur version de l’histoire selon laquelle la civilisation sud-africaine n’aurait commencé qu’avec l’arrivée de l’administrateur colonial néerlandais Jan van Riebeeck au Cap en 1652.

"Mapungubwe montre que l’Afrique du Sud a une histoire très riche", affirme Mme Tiley-Nel. "Cette partie de l’Afrique n’était pas une terre mythique vide", ajoute-t-elle.

Après l’élection en 1994 du premier président sud-africain noir Nelson Mandela, le site de Mapungubwe a été inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, et l’Ordre de Mapungubwe, l’une des plus hautes distinctions honorifiques du pays, a été créé.

La controverse continue cependant d’entourer la figurine, devenue le symbole de la lutte de l’Afrique du Sud pour réécrire son histoire, plus de 20 ans après la fin de l’apartheid. b[

Un centre spécial a pourtant été construit à Mapungubwe pour accueillir le rhinocéros, mais les autorités sud-africaines ont estimé que la sculpture n’y serait pas suffisamment protégée. Aussi le rhinocéros est-il toujours à l’université de Pretoria, ce qui contrarie de nombreux experts.

"On ne peut pas juste s’appuyer sur de vieilles institutions qui ont obtenu ces objets par des moyens douteux", estime Ciraj Rassool, professeur d’histoire à l’université sud-africaine du Cap Occidental (sud).

"C’est une honte qu’on n’ait pas réussi à créer un véritable musée", ajoute-t-il. "Ce rhinocéros en or est laissé dans les limbes."

M. Rassool espère cependant que le rhinocéros recevra l’accueil qu’il mérite dans le monde entier: "Il est important que ces aspects de la culture sud-africaine soient connus dans un maximum de pays", insiste-t-il.

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