Aux funérailles de Kim Jong-il, la réalité dépasse l’affliction

Une neige drue, d’incessantes musiques funèbres avec tambours, trombones et trompettes, et des sanglots. Tant de sanglots que la Corée du Nord semblait avoir muté, hier à l’occasion des obsèques du dictateur Kim Jong-il, en royaume des lamentations. Rarement par le passé – sauf peut-être lors des obsèques de Staline en 1953, de Mao Zedong en 1976 et de Kim Il-sung en 1994 (lui aussi terrassé par une crise cardiaque) -, aura-t-on vu autant de dizaines de milliers de fidèles, militaires et civils pleurer de concert à chaudes larmes dans un froid glacial leur leader défunt, «la plus grande perte pour le Parti des travailleurs».

Une foule de 100 000 personnes avait été conviée sur l’immense place Kim-Il-sung pour honorer le «Cher dirigeant», mort officiellement dans son train d’un infarctus du myocarde et d’une crise cardiaque, le 17 décembre. Débordement de douleur, d’affliction, à l’occasion de ce dernier jour de deuil, pour l’énième expression d’un culte de la personnalité hors norme.

Lénifiante. Et pas l’once d’une critique hier, de 10 heures du matin (2 heures en France) à 17 heures. Rien qui ne déroge à la ligne du parti unique. Alors que le cruel Kim Jong-il a dirigé son pays d’une impitoyable main de fer, préférant, depuis son accession au pouvoir en 1994, la course au nucléaire au fait de nourrir son peuple.

Ces derniers jours, a révélé le quotidien sud-coréen Joong-Ang, des centaines de camions chargés de fleurs ont franchi la frontière sino-nord-coréenne en direction de Pyongyang. Durant plus de trois heures, la chaîne de télé nord-coréenne (l’unique antenne d’Etat) a déployé son armée de caméras pour retransmettre la lénifiante cérémonie, chorégraphie géante montée en quelques jours, et commentée tantôt par un présentateur aux intonations étouffées par le chagrin, tantôt par la vedette de la chaîne, la voix débordant de trémolos. Celle-là même qui avait annoncé il y a dix jours, en larmes déjà, la disparition du «grand soleil du XXIe siècle», du «père de la nation», dont la santé déclinait lentement mais sûrement depuis son attaque cérébrale de l’été 2008. Le dictateur avait confié, le 17 avril 2009 au quotidienRodong Sinmun, être un homme affaibli «ne faisant pas assez attention» à sa santé.

Géante mise en scène par la Corée du Nord des clichés mêmes qui la caractérisent, les obsèques ont confirmé la volonté du régime d’asseoir sans tarder l’autorité du troisième fils, Kim Jong-un. Ce dernier avait été adoubé comme dauphin dès mars 2009, après avoir intégré, comme son père en 1991, la toute-puissante Commission de défense, l’organe le plus influent du régime. Hier, les Nord-Coréens ont vu Kim Jong-un – véritable sosie de Kim Il-sung, même visage joufflu, même embonpoint -, en costume civil, marcher lentement à la droite de la longue limousine noire transportant sur son toit le cercueil du père recouvert d’un drapeau rouge. A gauche du véhicule étaient visibles plusieurs hauts dignitaires du régime, dont le chef d’état-major, Ri Yong-ho, et le ministre des Armées, Kim Yong-chun. Tandis que, placé derrière Kim Jong-un par le protocole, suivait Jang Song-taek, son oncle par alliance, considéré comme le second homme fort du régime. Le message était limpide : le nouveau et jeune leader nord-coréen est encadré par les généraux les plus proches de son père. La transition dynastique est réussie et assurée. En revanche, les deux grands-frères de Kim Jong-un, Jong-nam et Jong-chol, des rivaux éventuels, sont restés invisibles.

Interminable, la marche funèbre partie du mausolée Kumsusan a été suivie, le long d’un parcours de 40 kilomètres, par des dizaines de milliers de Nord-Coréens, dont nombre de soldats et femmes-soldats, têtes découvertes et courbées, pleurant, qui dignement, qui jusqu’à l’outrance, voire sombrant dans l’excentricité, les poings serrés, criant à genoux sur le tapis neigeux, le long du cortège emmenant la dépouille.

Geôles. Celle-ci était précédée par une première limousine arborant un portrait géant de Kim Jong-il souriant. Des dizaines de Mercedes et autres voitures allemandes noires et blanches clôturaient le défilé. Dans leurs geôles de misère et baraques insalubres, les 200 000 à 300 000 prisonniers politiques que compte la Corée du Nord auront été sans doute bien les seuls, hier, à ne pas suivre les trois minutes de silence décrétées en hommage au dictateur disparu, dont le corps va être confié à une équipe de spécialistes russes chargés de l’embaumer dans son cercueil de verre.

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