Au Maroc, la reddition des comptes n’épargne ni ministres ni technocrates du sérail

Narjis Rerhaye (A Rabat)

Mohammed VI avait appelé à un séisme politique en ouvrant le 13 octobre dernier la deuxième année législative. C’est une onde de choc de très forte magnitude que personnel politique et technocrates ont ressentis. Au milieu de l’après midi de ce mardi 24 octobre, le roi recevait au palais royal de Rabat le premier président de la cour des comptes. L’heure est grave. A Rabat, la classe politique et l’opinion publique sont suspendues aux résultats du rapport de la Cour des Comptes relatif au programme « Al Hoceima Manarat Al Moutawassit ».

Ce 24 octobre, Driss Jettou qui avait été chargé par le chef de l’Etat d’une telle mission, doit rendre sa copie, fruit d’un processus d’audit froid et objectif, A l’audience qui a duré une quinzaine de minutes, sont également le chef de gouvernement, Saaeddine El Otmani, le ministre de l’intérieur M. Laftit et celui de l’Economie et des finances, Mohamed Boussaid, auteurs d’un premier rapport/enquête sur la non exécution du programme de développement d’Al Hoceima.

Les conclusions du premier président de la cour des comptes sont claires, limpides et sans la moindre ambiguïté. Il n’y a pas eu malversations ou détournements des deniers publics. Driss Jettou et ses juges le confirment : ce sont bel et bien des dysfonctionnements et des défaillances enregistrés sous l’ancien gouvernement aux destinées duquel présidait Abdelilah Benkirane qui ont eu raison de « Al Hoceima Manarat Al Moutawassit ».

L’enquête de la cour des comptes, dont la neutralité et l’objectivité sont incontestables, est minutieuse. L’analyse est implacable. Les faits sont sans appel. Exemple, sur les 644 projets annoncés devant le chef de l’Etat dans le cadre d’« Al Hoceima Manarat Al Moutawassit », seuls cinq avaient été réellement lancés au déclenchement des événements du Rif. Autre exemple révélateur d’une mauvaise gouvernance annoncée, il a fallu attendre 16 longs mois après le lancement officiel du projet de développement d’Al Hoceima pour qu’une commission interministérielle dédiée se réunisse.

Driss Jettou et ses juges de la transparence ont interrogé, demandé des explications, croisé les réponses. Tout est motivé, argumenté, détaillé. Les responsabilités sont clairement établies et les sanctions annoncées relèvent de la reddition des comptes, principe consacré par la Constitution.
Loin des fusibles qui sautent et des seconds couteaux qui trinquent, les responsables sont, cette fois, tout en haut de la hiérarchie. Les décisions du souverain tombent immédiatement.

Audit implacable et reddition des comptes

Ce sont quatre ministres en activité qui sont immédiatement limogés par le roi (Mohamed Hassad en sa qualité de ministre de l’intérieur dans le gouvernement Benkirane, Mohamed Nabil Benabdallah, Houcine El Ouardi, respectivement ministres de l’habitat et de la santé et Larbi Bencheikh, à l’époque des faits directeur général de l’OFPPT) alors que la responsabilité de 5 anciens ministres est également établie. Ali Fassi Fihri, directeur général de l’office national de l’eau et de l’électricité n’échappe pas à la sanction. Il est lui aussi révoqué. D’ anciens ministres de l’Exécutif Benkirane ne sont pas non plus épargnés. Hakima el Haite, Lahcen Haddad, Lahcen Sekkouri, Rachid Belmokhtar et Amine Sbihi sont mis en cause. La sanction tombe comme un couperet : aucune fonction ou mission officielle ne leur sera plus jamais accordée. 14 hauts responsables de différentes administrations, dont l’identité n’a pas encore été dévoilée, seront sanctionnés en fonction de la gravité des faits retenus contre eux.

Depuis la fin de l’après-midi, les portables n’en finissent pas de crépiter. La reddition des comptés a commencé et elle a des accents irréprochables. Il n’y a pas eu une curée qui ne viserait que les ministres politiques. La révocation a également concerné des « hommes du roi », réputés proches du sérail, en tout cas fidèles grands commis de l’Etat. Personne ne s’attendait à ce que le rapport Jettou emporte Mohamed Hassad (pourtant en charge de réinventer l’école marocaine) ou encore Ali Fassi Fihri. Qui aurait pu penser que Rachid Belmokhtar serait publiquement mis en cause et interdit de nouvelles hautes fonctions ? A l’évidence, la reddition des comptes n’a pas de couleur. Elle n’est pas non plus sélective.

Dans les états majors politiques, les commentaires commencent. Deux ministres PPS –dont le SG du parti- sur trois ont été limogés. Rescapée, Charafat Afilal, la Secrétaire d’Etat en charge de l’eau doit se sentir bien seule ce soir. Un remaniement aura donc bel et bien lieu. Saadeddine El Otmani doit proposer 4 nouveaux ministres au Souverain. Quant à l’ancien Premier ministre, l’islamiste Abdelilah Benkirane, personne ne sait pour le moment s’il se sent coupable, voire aussi d’avoir contribué à la fin de carrière définitive de 9 ministres de son éxécutif…

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