Après Kadhafi, tout reste à faire

La victoire des insurgés avant la fin du ramadan est l’une des dernières surprises qu’aura offertes le colonel Kadhafi avant son départ. Contrairement à ce qui était anticipé, la capitale libyenne s’est livrée soudainement aux insurgés en raison d’un effondrement total des forces qui entouraient encore le clan Kadhafi. Cette victoire ne signifie pourtant pas le triomphe immédiat de la démocratie en Libye. Il reste à reconstruire le pays.

Sur le plan économique, la situation est catastrophique : infrastructures détruites, routes minées, villes saccagées. Les activités pétrolières qui constituent l’unique source de revenus externes du pays sont à l’arrêt. Si les puits d’extraction semblent préservés, des combats ont endommagé les terminaux portuaires assurant les exportations de l’or noir.

Les autres activités économiques, notamment les services (commerce, transport, construction) ont été totalement bouleversées par les affrontements. A cela s’ajoute le départ massif de plus d’un million de travailleurs étrangers : Tunisiens, Egyptiens, Sahéliens ou en provenance d’Afrique subsaharienne, qui faisaient tourner l’économie libyenne.

Le conflit des six derniers mois n’a pas arrangé une situation économique qui était désastreuse avant même le début de l’insurrection. La crise financière internationale de 2008 a amplifié l’érosion lente mais constante de l’Etat-providence et des recettes pétrolières dans la dernière décennie. L’effondrement du système mis en place par Kadhafi s’explique par une crise économique dont les causes sont toujours présentes : absence de diversification économique, déséquilibre régional entre la Tripolitaine et la Cyrénaïque, hypertrophie du secteur pétrolier, dépendance alimentaire.

L’autre grand chantier est la reconstruction politique du pays. L’effondrement rapide de Tripoli a permis d’éviter un bain de sang final dont il aurait été difficile de se relever. La victoire contre Kadhafi permet de ressouder provisoirement les forces politiques dans un projet démocratique commun qui serait le moyen d’écarter définitivement pour l’avenir tout régime dictatorial.

Mais l’état de grâce dont bénéficiera le Conseil national de transition (CNT) à la suite de sa victoire ne durera pas éternellement. Il ne dispose que de quelques mois pour construire un nouveau pacte qui assurera une unité politique.

Les éléments de fragmentation de la société libyenne demeurent. La dimension tribale ne doit pas être oubliée. Le départ, vendredi 19 août, d’Abdelsallam Jalloud, longtemps numéro 2 du régime, marquait à sa façon la fin de l’alliance reconstituée par Kadhafi avec la tribu des Magariha dans les premières phases du conflit.

La géographie de la Libye reste par ailleurs frappée par un éclatement régional toujours possible entre la Tripolitaine et la Cyrénaïque. Le conflit des six derniers mois laissera des traces profondes qui pourraient s’exacerber faute d’accords politiques rapides. Cette situation est d’autant plus dangereuse qu’une grande partie de la population libyenne est à présent lourdement armée.

La reconstruction démocratique sera d’autant plus délicate que l’héritage que laisse Kadhafi en matière de structures étatiques est des plus fragiles. Le pouvoir du Guide reposait en effet sur sa capacité à gérer directement les conflits en court-circuitant les institutions étatiques et en s’appuyant sur des réseaux de liens interpersonnels de vassalité.

La construction démocratique reste donc un défi majeur. Elle ne reposera en Libye sur aucune tradition historique. D’où la nécessité d’une coopération internationale pour établir les bases institutionnelles d’un véritable Etat.

Il faut donc tout reconstruire en Libye. La France, qui s’est illustrée dans un soutien décisif aux insurgés, est particulièrement bien placée pour participer à cette reconstruction. Les liens politiques étroits établis avec le CNT mais aussi l’aura dont dispose notre pays auprès de la population libyenne devraient faciliter le positionnement des entreprises françaises dans la période qui s’ouvre.

Les secteurs ne manquent pas : BTP, activités pétrolières, services, télécommunications, transports aérien et ferroviaire. De nouveaux secteurs comme le tourisme pourraient se développer de manière spectaculaire dans les deux prochaines décennies.

Un positionnement rapide des entreprises françaises est d’autant plus important qu’une Libye démocratique disposant d’un régime stable établirait une continuité économique avec ses deux voisins, la Tunisie et l’Egypte. C’est toute la géographie du commerce méditerranéen qui sera modifiée.

La France et l’Europe doivent dès maintenant commencer à définir une politique de coopération ambitieuse avec la Libye, notamment sur le plan scientifique, culturel et éducatif. L’idée d’un partenariat euro-méditerranéen totalement refondé ou d’une Union pour la Méditerranée rénovée pourrait reprendre tout son sens et contribuer au développement de l’ensemble de la région.

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Jean-Yves Moisseron est aussi chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (Source Le monde du 24 août 2011)

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