Ammar Abd Rabbo : Le nu de la vie

Ammar Abd Rabbo : Le nu de la vie
C’est l’ombre d’une femme nue. Ou plutôt une silhouette anonyme, arborant avec grâce un ventre rond révélant l’arrivée imminente d’un enfant comme on annonce gaiement le printemps. Sur la pointe des pieds, le dos cambré, le visage tourné vers les cieux, ou encore allongée au sol, elle nous offre une perspective intime et singulière de la grossesse sous l’œil sensible et averti d’Ammar Abd Rabbo.

Le photoreporter franco-syrien de renommée internationale nous avait habitués aux portraits de chefs d’Etat et aux lignes de front. Cette fois-ci, il tourne sciemment le dos à l’actualité brûlante, et son triste lot de morts, pour se pencher avec brio sur la vie. Ou plutôt le don de la vie. « Dans cette région du monde, on tombe très vite dans le cliché des femmes voilées. J’ai voulu rendre hommage à la femme dans un des plus beaux moments de son existence », confie Ammar Abd Rabbo, dont les œuvres sont actuellement exposées à la galerie Ayyam de Beyrouth. Il en résulte une palette très réussie d’œuvres qui oscillent entre photographie et peinture, entre symbolisme primitif et réalisme moderne.

Mais dans une région voilée de conservatrice et pétrie de culture patriarcale, ses images n’ont pas tardé à déclencher une avalanche de critiques – y compris de certaines femmes ! « Quel est l’intérêt de la nudité ? Nous n’avons pas besoin de nudité dans l’art », s’insurge Nada, une jeune artiste libanaise, dans un commentaire posté sur la page facebook du photographe. Intrigué par cette remarque, il lui répond aussitôt : « Il existe différentes formes de nudité. Celle que je montre dans mon exposition n’a rien à voir avec le style « playboy « (…) Quand je visite un musée à Paris ou Florence avec mes enfants, il y a plein de peintures de nu. Mais ça ne me choque pas. Je n’y vois pas une « insulte » aux femmes, ni aux hommes… ».

Ammar Abd Rabbo : Le nu de la vie
Si de nombreux quotidiens locaux (de L’Orient Le Jour au Daily Star, en passant par Al Safir) se sont empressés – tout comme la majorité des visiteurs – de faire l’éloge de l’exposition, d’autres média, prisonniers de leurs a priori, ont tout simplement préféré la bouder…

Preuve que la question du « nu » – pourtant si pudiquement et délicatement abordée par Ammar Abd Rabbo – demeure un tabou au Proche-Orient, la chaîne libanaise LBC s’est gardée d’en montrer les images lors de l’émission à laquelle elle l’avait convié. Hypocrisie ? « En fait, c’est un savant tour de passe-passe pour ne pas se mettre à dos le marché saoudien », souffle un observateur.

L’article du site Internet de la chaîne Al Arabiya (basée à Dubaï) consacré aux œuvres d’Ammar Abd Rabo mérite également qu’on s’y attarde : s’il dresse un bilan flatteur de ces photographies de femmes enceintes, il se contente d’illustrer ses propos avec une photo … floutée (voir ci-contre). Histoire de ne pas choquer les âmes puritaines de cette région….

Les critiques des uns, les craintes des autres, Ammar s’en amuse. Car pour ce globe trotteur à cheval entre Orient et Occident, cette exposition part au contraire d’une volonté de ne pas réduire la femme à une « femme objet », comme c’est parfois le cas dans nos contrées occidentales.

« Ce projet a mis plusieurs années à mûrir dans ma tête. Tout a commencé quand mon épouse est tombée enceinte de notre premier enfant. J’ai voulu documenter ce moment magique. Plus tard, j’ai été amené à travailler avec un modèle qui a accepté de se prêter au jeu. Et même si cela peut surprendre, la femme que vous voyez en photo est musulmane… et elle porte un piercing au nombril ! », raconte Ammar.

Le moment choisi pour présenter cette exposition – subtilement intitulée "Coming soon" ("Ici prochainement") – n’est d’ailleurs pas anodin. A l’heure où les bourgeons du « printemps arabe » n’ont pas encore donné leurs meilleurs fruits, cette exposition annonce un heureux événement, mais ne peut prédire exactement lequel. « On ignore s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille, si ce sera un enfant sage ou turbulent. C’est, au fond, une sorte de métaphore de ce qui se passe dans cette région, avec tous les points d’interrogations suscités par ces révolutions », souligne le photographe.

"Coming Soon"
Galerie Ayyam
Beyrouth
Jusqu’au 2 mars 2012

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