Algérie : le pouvoir intimide ouvertement médias et journalistes (enquête RSF)

Dans une longue enquête fouillée, à paraître ce jeudi, Reporters sans frontières (RSF) tire la sonnette d’alarme sur la situation de la presse et des journalistes en Algérie, et appelle la communauté internationale à plaider auprès des autorités algériennes afin que cesse la répression et la censure des journalistes.
RSF a également appelé Alger à cesser de recourir au code pénal, à la détention arbitraire et à des procédures administratives abusives pour interdire et criminaliser la liberté d’information et le journalisme indépendant.

L’organisation brosse d’abord un portrait de l’Algérie depuis la réélection en 2014 d’Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième manda, décrit « L’opacité entourant l’état de santé du chef d’état depuis l’AVC qui a réduit ses capacités d’élocution et de mobilité en 2013, l’absence de transparence quant au déroulement du scrutin, et les nombreux scandales de corruption entachant le système politique de manière récurrente, inquiètent quant à l’avenir du pays ».

Dans ce paysage politique complexe, poursuit RSF, les médias algériens sont ouvertement intimidés et « pour verrouiller le paysage médiatique, des moyens très diversifiés tant au niveau de la pratique juridique, politique, qu’économique sont utilisés par les autorités pour maintenir une forte pression sur les médias et favoriser la docilité à l’affirmation de l’indépendance ».

Le 11 décembre 2016, dénonce RSF, la nouvelle du décès en détention du journaliste algéro-britannique Mohamed Tamalt à Alger a profondément choqué la profession et les défenseurs des droits de l’homme. Condamné à deux ans de prison ferme pour « outrage à corps constitués » et « atteinte à la personne du Président » après la publication de statuts sur Facebook, Mohamed Talmat avait entamé une grève de la faim dès son incarcération le 27 juin. Tombé dans un coma profond début septembre, il est décédé en décembre en prison.

Le code pénal: cauchemar des journalistes

Selon RSF, le ministère public est à l’origine de la plupart des poursuites engagées contre les journalistes et journalistes-citoyens au cours de ces deux dernières années. Le recours au code pénal est systématique, notamment en raison du fait que les infractions liées au droit d’informer – à savoir la diffamation, l’outrage et l’injure – sont prévues dans le code pénal et punies de peines allant de deux mois à cinq ans de prison et de 1 000 Da à 500 000 Da (de 10 à 4 000 euros).

RSF plaide pour une révision du code pénal en supprimant la peine d’emprisonnement pour les délits de presse, notamment ceux concernant l’injure, l’outrage ou la diffamation, appelant à cesser les menaces verbales de hauts responsables politiques algériens à l’encontre des journalistes. Le document met aussi l’accent sur l’importance d’assurer la protection des journalistes, notamment dans les cas de cyberviolence et de réviser le code de l’information de 2012 afin de mettre certaines dispositions en conformité avec les obligations internationales de l’Algérie.

La détention arbitraire : épée de Damoclès pour les journalistes

Avant même que ne se tiennent leurs procès, les professionnels de médias ou journalistes-citoyens poursuivis sont détenus de manière préventive et, dans la plupart des cas, arbitrairement, déplore RSF, indiquant que la mise en détention provisoire est pourtant encadrée par la loi.

Mais dans les faits, des journalistes ou journalistes-citoyens ont été – et sont encore – emprisonnés ou détenus à la suite de mandats de dépôt qui sont motivés par des raisons purement politiques, comme ce fut le cas d’Abdessami’ Abdelhaï maintenu en détention provisoire pendant près de 24 mois, constate l’organisation.

Le rapport de RSF appelle à libérer tous les journalistes professionnels et non professionnels détenus uniquement pour avoir exercé leur droit d’informer, y compris sur Internet et via les réseaux sociaux et de cesser toute forme de restriction au droit à l’information menant à la censure des médias, notamment lorsque sont abordés des sujets tels que les biens et avoirs des dirigeants algériens à l’étranger, la corruption et les mouvements sociaux.

« La majorité des militants des droits de l’Homme incarcérés dans une prison, sans jugement, sur le fondement du principe de la détention provisoire, sont en réalité soumis de manière indirecte et parfaitement anticonstitutionnelle à une peine d’emprisonnement», estimait l’avocat Me Salah Debbouz, cité par RSF.

Des pressions politiques étendues

« Depuis 2014, les médias les plus visés par des pressions politiques sont ceux qui se sont opposés à la réélection de M. Bouteflika pour un quatrième mandat », souligne RSF.

Pour RSF, « Les pressions se manifestent principalement par des menaces verbales de hauts dirigeants algériens, des restrictions au droit d’informer pour les médias étrangers et, phénomène assez nouveau, des campagnes de diffamation et menaces graves à l’encontre de journalistes menés sur internet et les réseaux sociaux ».

« Régulièrement, constate RSF, les médias sont la cible d’attaques et de menaces verbales de la part de responsables politiques, y compris au plus haut niveau. Cette pratique contribue à alimenter un climat de tension et de peur particulièrement dommageable ».

Intimidations ouvertes

Selon, RSF, ces menaces prennent souvent comme prétexte le « manque de professionnalisme » de certains médias. « Ces derniers en sont d’ailleurs principalement victimes quand ils touchent à des sujets hautement sensibles comme la santé de M. Abdelaziz Bouteflika, les scandales de corruption ou des avoirs luxueux des dirigeants à l’étranger », précise l’organisation.

Le « cercle vertueux » de l’éthique, annoncé en juin 2014 par le ministre de la Communication, M. Hamid Grine, consistant à demander aux éditeurs, aux annonceurs et aux journalistes d’adopter certaines mesures pour atteindre une « attitude éthique et déontologique » a d’ailleurs largement encouragé cette pratique nuisible à la production d’une information indépendante, note encore RSF.

En 2015, RSF a recensé une quinzaine de menaces verbales émanant principalement du ministre de la Communication mais également du Premier ministre ainsi que du président la République. Le 22 octobre 2016, à l’occasion de la journée nationale de la liberté de la presse, le Président algérien a ainsi usé de mots très durs pour s’adresser aux médias en ligne, considérant que ces derniers « permettait de diffuser des insinuations calomnieuses et injurieuses, de semer des idées subversives, voire de s’attaquer ouvertement et sans aucun scrupule, à notre peuple et à notre
pays».

Les mercenaires 2.0 : la nouvelle menace

Depuis 2014, relève RSF, les phénomènes de cyber violence se multiplient, ciblant rédacteurs en chef, directeurs de publication et journalistes sur Internet. Ainsi, certaines pages Facebook comme « 1, 2, 3 Viva l’Algérie » likées par plus de 700 000 personnes sont devenues de véritables mercenaires en ligne agissant pour le compte d’intérêts obscurs, note RSF.

Selon l’organisation, leur mode de fonctionnement est assez simple : reprenant des articles critiques des médias envers les autorités ou la société algérienne, elles les épinglent violemment dans des publications haineuses. S’ensuit alors une chaîne de commentaires haineux publiés sur la page ou sur le profil du journaliste visé. Les menaces peuvent aller très loin, parfois jusqu’à des appels au meurtre.

« Face à cette situation, les autorités restent totalement silencieuses, ce qui alimente l’idée selon laquelle ces pages sont largement tolérés. Selon plusieurs sources, les services de sécurité encourageraient ce type de pratiques », constate RSF.

Médias étrangers encerclés

Pour RSF , les articles des correspondants de médias étrangers sont scrutés à la loupe par le pouvoir qui ne se prive pas de les critiquer. Des journalistes sont régulièrement convoqués au ministère de la Communication pour y être sermonnés. Au mieux, l’affaire en reste là ; au pire, leur accréditation leur est retirée. Cette accréditation est à renouveler chaque année, au prix d’un dossier de demande particulièrement volumineux ».

Très souvent, souligne RSF, le ministère de la Communication ne délivre le précieux sésame qu’après un long retard. Beaucoup de correspondants continuent donc à travailler sans cette autorisation, ce qui offre un moyen de pression supplémentaire à l’État et maintient une épée de Damoclès au-dessus de leur tête ».

RSF a conclu son enquête par une série de recommandations appelant les autorités algériennes à lâcher du lest et à respecter le droit d’informer et la liberté de la presse.

À la communauté internationale, RSF recommande de : Plaider auprès des autorités algériennes afin que cesse la répression et la censure des journalistes professionnels et non-professionnels notamment ceux s’exprimant sur internet; Soutenir les organisations de la société civile défendant la liberté de la presse dans le pays afin que soient encouragés l’existence et le développement de médias libres et indépendants y compris de médias associatifs; Demander à l’Algérie de se conformer aux recommandations qu’elle a reçues dans le cadre de l’Examen périodique universel sur la liberté de l’information et la liberté de la presse.

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