Algérie: l’impossible « empêchement » du président Bouteflika

L’opposition algérienne réclame depuis plus d’un an la mise en oeuvre d’une procédure d’empêchement du président Abdelaziz Bouteflika, récemment hospitalisé en France, mais cette disposition prévue par la Constitution est impossible à appliquer, estiment experts et hommes politiques.
Le chef de l’Etat algérien, âgé de 77 ans et amoindri depuis un accident vasculaire cérébral (AVC) qui a laissé des séquelles manifestes sur sa mobilité et son élocution, a été soigné de jeudi à samedi dans une clinique à Grenoble, dans l’est de la France.

Déjà hospitalisé fin 2005 à l’hôpital du Val-de-Grace à Paris, M. Bouteflika a retrouvé cet établissement militaire pour 88 jours à la suite de son AVC en avril 2013.

Il en est sorti affaibli, se déplaçant en fauteuil roulant et s’exprimant avec peine. Ce qui ne l’a pas empêché de briguer un quatrième quinquennat remporté en avril dernier, insensible aux demandes de l’opposition qui le juge "inapte" à conduire sa mission d’autant que la constitution lui confère des pouvoirs immenses.

Ses partisans crient au "coup d’Etat médical" face aux demandes répétées de l’opposition de faire valoir une disposition constitutionnelle prévoyant la procédure d’empêchement.

L’article 88 de la Constitution stipule que "lorsque le Président, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil Constitutionnel se réunit de plein droit et, après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement".

L’ancien Premier ministre Mouloud Hamrouche, adversaire de M. Bouteflika à la présidentielle de 1999, a jugé samedi que "techniquement, politiquement, idéologiquement" cet article "n’existe pas" car "la Constitution n’offre pas les moyens de son application".

L’ancien magistrat Abdellah Haboul, interrogé par le quotidien El Khabar, compare l’article 88 à une "pièce sans porte ni fenêtre, à laquelle il est impossible d’accéder".

Selon lui, il s’agit d’une "faille préméditée" parce que la Constitution "ne prévoit pas quelle est l’autorité appelée à saisir le Conseil constitutionnel pour constater l’état d’empêchement".

"L’article 88 est verrouillé par des limites juridiques", confirme l’experte Fatija Benabbou, citée par El Watan. "Cette disposition ne peut pas être appliquée tant que le Conseil constitutionnel ne s’est pas émancipé".

– Rumeurs permanentes –

Notant que sur les "sur les neuf membres du Conseil, trois sont nommés par le président parmi ses fidèles et ses proches", la professeure de droit conclut qu’"il est impossible d’avoir une décision unanime du Conseil qui ne peut être saisi que par le chef de l’Etat lui-même ou les président des deux chambres du parlement, des proches de M. Bouteflika.

Le président du Conseil, Mourad Medelci, nommé à ce poste en septembre 2013 quelques semaines après la sortie de M. Bouteflika du Val-de-Grace, "est un fonctionnaire et il n’a pas l’autonomie qui lui permet d’appliquer cet article", constate aussi l’opposant Soufiane Djilali.

Depuis sa réélection, M. Bouteflika n’a fait que de rares apparitions, renonçant notamment à tout déplacement officiel à l’étranger. Ce qui alimente en permanence les rumeurs sur son état de santé et les doutes sur ses capacités à diriger le pays.

Ses compatriotes le voient de temps en temps à la télévision, recevant dans une résidence à Zéralda (ouest d’Alger) ses hôtes étrangers -chefs d’Etat, ministres, ambassadeurs- ou algériens.

Dimanche, 24 heures après son retour de Grenoble, il a reçu les lettres de créances de quatre ambassadeurs. Il doit accueillir en milieu de semaine le président islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan qui effectue mercredi et jeudi une visite à Alger.

Un des derniers à l’avoir rencontré la semaine dernière, le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius a assuré que "du point de vue intellectuel", le chef de l’Etat "fonctionne très bien" malgré une "difficulté d’élocution".

L’éditorialiste d’El Watan Omar Berbiche jugeait lundi que "l’emballement de l’agenda protocolaire et médiatique de ces derniers jours a plus desservi que servi l’image du président".

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