Algérie: deux jours de chaos

L’Algerie a choisi la force pour venir à bout de la prise d’otages qui se serait soldée, hier, par la mort de dizaines de personnes. Et pourrait reconsidérer sa stratégie envers les groupes islamistes présents au Mali.

Les militaires algériens n’auront pas attendu plus de trente-six heures. Ils ont lancé hier après-midi un raid pour libérer les otages détenus depuis la veille par des combattants islamistes dans le complexe gazier de Tigantourine, dans l’est de l’Algérie. L’assaut, qui a mobilisé des tireurs d’élite et des hélicoptères, semble avoir viré au massacre. 34 otages étrangers ont été tués, ainsi que 15 ravisseurs, si l’on en croit les déclarations, non confirmées hier soir, d’un porte-parole du groupe auteur du rapt à la télévision mauritanienne. L’armée a, elle, annoncé que 600 otages algériens avaient été libérés. Le sort de trois Belges, deux Japonais et un Britannique restait incertain, hier en début de soirée. Quelques heures plus tôt, 15 otages étrangers, dont un couple de Français, avaient réussi à s’évader.

Ce dénouement meurtrier clôt une prise d’otages qui avait débuté mercredi, à 5 heures du matin. Des islamistes armés attaquent alors un bus d’expatriés sur le site gazier, géré par la compagnie nationale Sonatrach, le britannique BP et le norvégien Statoil. Repoussés par des agents de sécurité, ils investissent les bâtiments où vivent les employés. Un premier communiqué est diffusé rapidement. Les ravisseurs disent appartenir à la brigade «Khaled Abou Abbas», groupe dirigé par Mokhtar Belmokhtar, un Algérien de 40 ans surnommé «M. Marlboro» pour sa propension à mêler jihad et trafics (voir page ci-contre). L’un de ses porte-parole affirme que la prise d’otages constitue une «réaction à l’ingérence flagrante de l’Algérie autorisant l’usage de son espace aérien par l’aviation française» et demande «l’arrêt de l’agression au Mali».

Après une nuit où ravisseurs et soldats se font face, le groupe se dit prêt à négocier si l’armée se retire. Le ministre de l’Intérieur, Dahou ould Kablia, qui impute l’attaque à une vingtaine d’hommes «de la région» (avant d’annoncer hier qu’ils venaient de Libye), refuse, craignant que des otages ne soient emmenés hors du pays. L’assaut est alors décidé. Il s’achèvera hier, vers 21 heures. «Tous les détails ne sont pas encore connus. Mais cela semble quand même surprenant que la décision d’intervenir pour libérer près de 700 otages soit prise aussi rapidement, sans explorer toutes les pistes qui auraient peut-être permis d’aboutir à une solution moins sanglante», réagit William Lawrence, directeur de la région Afrique du Nord pour l’International Crisis Group, une ONG spécialisée dans la résolution des conflits.

«Intégrité». Au-delà des questions tactiques et des conditions d’intervention, cet empressement des autorités illustre leur crainte de voir le conflit au Mali déborder sur le territoire algérien. Le président Abdelaziz Bouteflika s’est longtemps opposé à une intervention militaire pour déloger les groupes islamistes qui ont pris le contrôle du Nord-Mali. Selon lui, seule la voie des négociations permettrait de résoudre le conflit. Il a fallu la visite de François Hollande à Alger, fin décembre, pour aboutir à un consensus, au moins de façade. Tandis que les autorités algériennes acceptaient de ne plus s’opposer à un déploiement armé, le président français affirmait que la voie des discussions avec les islamistes n’était pas à exclure. «Il convient de faire du dialogue politique, de faire tout pour qu’une négociation puisse permettre au Mali de recouvrer son intégrité territoriale, avait-il déclaré. Le rôle de l’Algérie est très important. Nous ne pouvons pas accepter qu’Aqmi [Al-Qaeda au Maghreb islamique, ndlr] s’installe [dans le] nord du Mali.»

«Représailles». Le rapprochement franco-algérien s’explique par l’échec des négociations menées par l’Algérie avec le MNLA et Ansar ed-Dine, des rebelles touaregs du Nord-Mali. Alger espérait les convaincre de se désolidariser des jihadistes d’Aqmi et du Mujao. «L’idée des autorités était de diviser pour affaiblir. Mais elles ont été trahies par leurs contacts au sein d’Ansar ed-Dine. Cette rupture a ouvert la voie au rapprochement avec la position française», explique William Lawrence.

Le déferlement surprise de combattants islamistes vers le sud du Mali en fin de semaine dernière a achevé de vaincre les réticences algériennes. Acculé, Bouteflika n’a pas pu s’opposer au survol du territoire par les avions français et à fermer la frontière avec le Mali, quitte à déplaire à une population sensible à toute manifestation d’un éventuel «néocolonialisme» de la France.

La prise d’otages, inédite par son ampleur, devrait forcer Alger à revoir sa stratégie face aux islamistes. «La guerre civile des années 90 ne s’est en fait jamais arrêtée. Les autorités ont d’abord tenté d’éradiquer les factions islamistes, mais cela a provoqué une augmentation des attentats en représailles. Le gouvernement a ensuite changé de stratégie, préférant repousser Aqmi dans le Sud pour tenter de les contenir», explique William Lawrence. Si cette tactique a permis de limiter le nombre d’attaques sur le sol algérien, elle n’a pas empêché les jihadistes de profiter de la porosité des frontières du Sud pour se déployer dans le Sahel et participer à l’invasion du Nord-Mali. Depuis mercredi, elle est définitivement invalidée. Qu’ils viennent de l’intérieur du pays, de Libye ou du Mali, comme ils le revendiquent, les ravisseurs ont profité du faible contrôle des autorités dans la région pour prendre 700 employés, dont 41 occidentaux, en otages.

(Source Libération)

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