Alger craint l’influence grandissante de l’EIIL

Le pouvoir algérien déploie dans le secret des négociations pour tenter d’éloigner la menace djihadiste

Ce n’est pas vraiment un serment d’allégeance, mais une reconnaissance certaine qui inquiète Alger. Dans une vidéo mise en ligne sur YouTube le 26 juin, un responsable d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) rend un hommage appuyé à l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), l’organisation djihadiste concurrente qui fait parler d’elle depuis sa vaste offensive armée lancée mi-juin sur une partie du territoire irakien. Le message enregistré sur une image fixe de combattants, d’une durée de près huit minutes, est attribué à Abi Abdallah Othmane El Assimi, " cadi " (juge religieux) d’AQMI " pour la région Centre ", est-il précisé, autrement dit la Kabylie, dans le nord de l’Algérie, où se terre Abdelmalek Droukdel, l’émir d’AQMI.

" Le moment est venu de nous exprimer ", clame le " cadi ", ajoutant aussitôt : l’EIIL " est sur la voie juste ". S’adressant " à tous les musulmans ", il dépeint en termes élogieux les combattants de l’EIIL, " les plus pieux, les plus éloignés des Kharijites – terme issu du nom d’une secte sunnite qui désigne les déviants – ". " Ils sont sur une voie juste qui n’est pas celle du compromis, ils ne craignent pas ce que disent les autres. C’est une voie où la parole d’Allah est supérieure à tout, une voie qui a appliqué la charia (…) et qui refuse les frontières imposées tracées par les tyrans. Au contraire, ils reconstruisent la carte du califat sur la voie du prophète. " Saluant les " victoires " emportées en Irak, le responsable d’AQMI, qui estime que " la démarche de Da’ech, c’est l’unification ", conclut par " rendez-vous dans le califat, Inch’allah ".

Le média " officiel " d’AQMI, le site Al-Andalous, n’ayant pas été utilisé, ce soutien affiché ne peut donc être interprété comme un ralliement, mais il est sans doute le signe de débats, voire d’une éventuelle scission au sein de la principale organisation djihadiste dans le Maghreb dirigée par des Algériens.

Un scénario catastrophe pour Alger qui redoute une recomposition de la carte djihadiste. Ici aussi, dans une région peuplée presque exclusivement de sunnites, l’EIIL exerce un attrait de plus en plus grand, tandis que l’étoile d’Al-Qaida semble pâlir. " L’EIIL est incroyablement bien organisée. Ils ont des drones, des commandos de “forces spéciales” et une communication très forte sur les réseaux sociaux ", constate Akram Kharief, auteur d’un blog spécialisé sur la défense algérienne.

Après le rapprochement opéré entre le Front Al-Nosra – branche officielle d’Al-Qaida en Syrie – et l’EIIL, AQMI, dont l’émir Abdelmalek Droukdel a prêté allégeance à l’organisation de Ben Laden en 2007, pourrait être tentée, ou du moins une partie de ses troupes.

Hantées par l’attaque meurtrière sur le site gazier de Tiguentourine, proche de la frontière libyenne dans l’extrême-sud algérien, lancée en janvier 2013 par un commando lui-même issu de regroupements entre plusieurs groupes armés, les autorités algériennes déploient en parallèle des négociations secrètes pour tenter d’éloigner le danger.

" Trêves "

Passée quasi inaperçue, une autre vidéo, mise en ligne sur les réseaux sociaux quelques heures à peine avant celle du " cadi " d’AQMI, révèle ainsi l’existence d’un " accord " entre le gouvernement et le groupe les " fils du Sahara pour la justice islamique " qui opère à la frontière avec la Libye. Ce dernier, créé lui aussi en 2007 et lié au trafic de contrebande, avait notamment été impliqué dans l’enlèvement du préfet d’Illizi, dans le sud de l’Algérie, en janvier 2012. Un an plus tard, son fondateur, Mohamed Lemine Bencheneb, alias Tahar Abou Aicha, était désigné comme le chef du commando de l’assaut sur Tigantourine planifié et piloté à distance par un chef issu d’AQMI, Mokhtar Belmokhtar, avant d’être tué par l’armée algérienne.

Dans cette vidéo des " fils du Sahara ", Abdeslam Tarmoun, poursuivi pour terrorisme, félicite le premier ministre, Abdelmalek Sellal, et explique qu’au terme de pourparlers avec des représentants du gouvernement et des notables, une " trêve " a été conclue, moyennant l’arrêt des actions armées d’un côté, une amnistie et des concessions sociales de l’autre, dont l’attribution de logements pour les familles ou l’arrivée de médecins spécialistes de Cuba.

Le 25 juin, le ministère de la santé algérienne a d’ailleurs confirmé la signature de conventions pour l’envoi d’une équipe médicale cubaine pluridisciplinaire " dans cinq wilayas – régions – du sud et des Hauts Plateaux ". Parmi les amnisties attendues figurerait notamment celle du frère de Mohamed Lamine Boucheneb, accusé d’avoir participé de façon " indirecte " à l’attaque de Tiguentourine ainsi que de quelques membres du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), un autre groupuscule djihadiste.

Ces " trêves " négociées ne sont pas une exception en Algérie où elles ont déjà été mises en œuvre durant les " années noires " de la guerre civile entre l’armée et les groupes islamistes. Ce fut le cas notamment en 1997 avec l’Armée islamique du salut (AIS) dirigée alors par Madani Mezrag, avant sa reddition. En recevant publiquement le 18 juin cet ancien émir du bras armé du Front islamiste du salut en qualité de " personnalité ", dans le cadre des consultations qu’il mène actuellement sur la révision de la Constitution, Ahmed Ouyahia, directeur de cabinet du président Abdelaziz Bouteflika, a provoqué la stupeur et l’indignation d’une partie de la population.

Isabelle Mandraud

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