Alain Touraine : Repenser les rapports entre l’islam et l’Occident

Alain Touraine juge que des rapports sains entre l’Occident et le monde musulman passent par la place prépondérante que devraient avoir les pays ayant des institutions fortes et n’ayant jamais été colonisés. C’est dans ce cadre qu’il se situe en faveur de l’adhésion de la Turquie à l’UE.

Alain Touraine : Repenser les rapports entre l
Alain Touraine, éminent sociologue et intellectuel français de renom, était à Istanbul pour participer aux séminaires organisés par l’université Bilgi en coopération avec les Fondations italiennes de redéfinition du dialogue entre les civilisations. Il a évalué pour Zaman les récents développements internationaux, notamment sous l’angle des relations entre l’Occident et le monde musulman. Pour Touraine, dans une période de transition et de propagation de la peur dans toute l’Europe, l’adhésion de la Turquie à l’UE aura aussi bien des conséquences positives que négatives. Pour le sociologue, c’est une erreur de défendre l’entrée de la Turquie avec l’argument de la diversité. Il juge cette position "totalement irresponsable", dans la mesure où "la xénophobie est actuellement répandue dans toute l’Europe.

Il y a trop d’immigrants que les gens rejettent, des racistes ou des personnes qui ne s’opposent pas aux discriminations et ainsi de suite". De ce point de vue, ce pourrait être une "erreur complète", ajoute-t-il. Toutefois, Touraine soutient l’adhésion de la Turquie notamment du point de vue du problème "brûlant" de la relation entre l’Europe et les pays "dits islamiques".

Il faut des pays avec une institution et une identité fortes

Il constate que les Etats-Unis s’en sont toujours pris aux pays arabes qui avaient deux caractéristiques : ce sont des pays avec des Etats faibles, voire absents, et des nations qui ont déjà été colonisées. L’absence d’institutions fortes leur fait perdre leur identité culturelle, qui est religieuse. C’est pourquoi "une alliance n’est pas suffisante, il nous faut inventer un nouveau type de relation entre ces deux mondes car, tant qu’ils seront définis par des différences et des oppositions, il leur est impossible de communiquer". Touraine juge ainsi qu’il est nécessaire d’avoir "un pays qui a toujours eu une identité, des institutions fortes, et qui n’a pas été colonisé".

La Turquie répondant précisément à ces critères, "si nous pouvons définir une vision commune de la manière d’éviter les conflits et de démontrer la possibilité de vivre ensemble, je pense que ça serait extrêmement utile." Touraine reste pourtant sceptique à l’égard d’un discours d’"Alliance des civilisations", qu’il voit plutôt comme de la rhétorique : "le problème ce ne sont pas les alliances, c’est d’avoir des relations non conflictuelles. Et pour cela, "un certain niveau d’autonomie institutionnelle", est indispensable ; et cela des deux côtés.

La nécessaire séparation du religieux et du politique

On pense alors à la question que l’auteur posait dans son livre Pourrons-nous vivre ensemble ? (Fayard). Touraine répond "Oui, bien sûr !". Des gens de différentes religions, tout comme des athées, peuvent tout à fait vivre ensemble. Pour lui, le problème apparaît surtout quand on veut faire coexister un mélange de religion et de pouvoir avec un autre mélange du même genre. Il cite les guerres de religion qu’a connue l’Europe au 16e siècle. C’est pourquoi il défend la séparation de la religion et de la politique. Le monde musulman doit dissocier le religieux du politique comme l’Europe a distingué les fonctions de pape et d’empereur.

Il ajoute toutefois que, dans le monde chrétien, cette séparation est partielle aux Etats-Unis : "Nous avons pu voir le président [George W.] Bush parler en utilisant les termes ‘djihad’ et "Dieu chrétien". Ce fut un échec total de la politique américaine." S’il se prononce pour l’élimination de l’identification d’une foi religieuse à une structure politique et sociale, il juge qu’une attaque militaire ou économique contre l’Iran aurait probablement pour conséquence de tuer toute possibilité de réaliser cette séparation. L’impulsion doit venir "de l’intérieur".

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