«Al-Gama’a» : ramdam et amalgame

La télévision égyptienne diffuse une série populaire mais controversée sur les Frères musulmans.

«Al-Gama’a» : ramdam et amalgame
Sur l’écran, une manifestation qui dégénère : 2006, université Al-Azhar au Caire, des étudiants cagoulés, une parade paramilitaire, des coups, de la violence. Puis flash-back : Ismaïlia, 1928, l’instituteur Hassan al-Banna fonde les Frères musulmans, une organisation sociale et religieuse, sur fond de lutte contre l’occupant britannique. Bande-son aux accents martiaux, mêlée de flûte orientale : tous les soirs, en prime-time, Al-Gama’a, littéralement «le Groupe», la grande saga des Frères musulmans, version feuilleton télé, enregistre des records d’audience à la télévision égyptienne.

Militants. Le mois de ramadan est une période faste pour les séries télés, devant lesquelles se visse le pays entier après la rupture du jeûne. D’ordinaire, mélos et comédies tiennent le haut du panier. Mais à l’approche des législatives de novembre, la télévision publique égyptienne a préféré miser gros en commandant cette plongée dans l’histoire du sulfureux mouvement islamiste. Lors du précédent scrutin, en 2005, et malgré les nombreuses irrégularités, la confrérie, interdite mais tolérée, avait effectué une percée sans précédent, devenant la première force d’opposition parlementaire. Un scénario que l’état égyptien préférerait ne pas voir se reproduire.

Confiée au scénariste chevronné Wahid Hamed, peu suspect de sympathie envers la confrérie, cette série à gros budget s’appuie sur le personnage d’un officier chargé d’interroger des militants islamistes, et décidant de remonter aux sources du mouvement afin de mieux cerner leurs motivations.

Décrits comme opportunistes et potentiellement violents, les islamistes n’ont guère goûté cette mise en image, servie par une réalisation très efficace. Le fils d’Hassan al-Banna, qui a porté plainte pour diffamation, a demandé en vain son interdiction. Les cadres de la confrérie, eux, dénoncent dans la presse une propagande destinée à ternir son image à l’approche des élections. Furieux, ils notent que la police y est, à l’inverse, dépeinte sous une forme idéalisée. Extrêmement courtois, l’officier, fil rouge de la série, est en effet aux antipodes de la réputation de la police égyptienne, dont l’ensemble des organisations des droits de l’homme dénoncent en permanence les abus, tel le recours quasi systématique à la torture.

Facebook. La polémique, qui fait rage dans les journaux, s’est étendue au web. Sous le slogan «Ecoutez ce qu’on a à dire, pas ce qu’on dit de nous», les islamistes ont ainsi créé une page spéciale sur Facebook pour battre en brèche les idées véhiculées par la série. La charge contre les Frères, dissimulée derrière un bon travail de documentation, brouille les cartes et fait des amalgames en prêtant à la confrérie un recours à la violence dont elle se tient officiellement à distance depuis des décennies. Mais elle sait toucher juste en mettant en lumière les manœuvres politicardes d’un mouvement retranché derrière sa piété.

Les téléspectateurs, eux, sont divisés. Certains y voient leurs inquiétudes confortées et alimentées par le régime qui utilise les Frères comme un repoussoir utile. Pourtant, au bout de deux semaines de diffusion, les analystes notent que la confrérie pourrait en sortir plus populaire encore. Sa détermination, ses idées et notamment son action sociale, sont largement disséquées et ainsi rendues familières à un vaste public. Et les libraires de constater un nouvel engouement des lecteurs pour les Mémoires d’Hassan al-Banna.

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