« Al-Basheer Show », l’émission satirique qui combat Daech avec le rire

Assis au bar, deux hommes portant une fausse barbe commandent un jus de pomme et de l’eau "Halal", lancent un clin d’oeil malicieux au serveur qui s’exécute et leur offre deux verres d’alcool.

"A l’occasion du premier anniversaire de l’occupation de Mossoul (Irak), c’est le calife (Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’EI) qui paie", lance le serveur, avant qu’une bombe ne leur tombe dessus.

Dans cette scène parmi les plus célèbres de l’émission satirique à succès "al-Basheer Show", Ahmad al-Basheer, 30 ans, "tente de casser l’image" des jihadistes de l’organisation Etat islamique (EI) qui prétendent se battre au nom d’une application rigoureuse de la charia.

Le satiriste est devenu célèbre dans tout l’Irak avec son humour intrépide et ses critiques acérées. Tout le monde en prend pour son grade: jihadistes, miliciens, armée, responsables politiques… Chaque semaine, des millions d’Irakiens se pressent devant leur poste pour regarder son émission.

En Irak, certains ont choisi de prendre les armes pour combattre les jihadistes de l’EI qui contrôlent des pans entiers du pays depuis leur offensive éclair de juin 2014. Ahmad al-Basheer, lui, estime que "les armes ne sont pas la meilleure solution".

"Nous combattons l’EI avec notre comédie satirique", explique-t-il depuis son studio situé dans la capitale jordanienne Amman.

– Du journalisme à la comédie –

Dans un autre sketch, un comédien barbu présente un one-man-show. A côté de lui, un autre barbu avec une kalachnikov, dont la mission est de tirer sur les spectateurs qui refusent de rire à leurs blagues pas drôles.

"Savez-vous quel est le nom de la première personne qui s’est fait exploser et qui s’est retrouvée au paradis ? Il s’appelait Boum". L’un des spectateurs éclate de rire. On lui demande de se lever et on l’abat d’une rafale. "Celle-ci n’était pas une blague. C’était un test. Est-ce que la mort d’un frère vous fait rire ?"

Pour le concepteur de l’émission, les chefs de l’EI "pensent être des personnes très sacrées. Mais si l’on se moque d’eux (…) leurs auréoles tomberont et ils redeviendront de simples humains. C’est pour ça qu’ils pensent que nous sommes un danger", dit-il.

"Nous tournons en dérision tout ce qui est négatif dans notre pays, l’Irak, à commencer par les responsables qui commettent des erreurs et ne font pas leur travail comme il faut, en passant par les corrompus et les mauvais politiciens ou ceux qui utilisent la religion à des fins politiques et finalement les extrémistes, les sectaires et les milices".

Ahmad al-Basheer est un ancien journaliste qui a travaillé pour plusieurs télévisions irakiennes. En 2011, il a échappé de justesse à la mort dans un attentat perpétré lors d’un festival à Ramadi (100 km à l’ouest de Bagdad), dans lequel sept de ses collègues ont péri. Depuis, il a décidé de quitter l’Irak et de s’installer en Jordanie.

– Menaces de morts –

Son émission au ton grinçant, inédite en Irak, lui a valu des menaces de mort. "La plupart des menaces nous proviennent de l’EI ou de personnes loyales aux milices (…) via les réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook mais aussi par la poste et des messages sur nos téléphones portables", dit-il. "Nous nous sommes habitués. Après chaque nouvel épisode, nous recevons de nouvelles menaces".

Dans son studio moderne à Amman, Ahmad al-Basheer compte sur une équipe de 24 personnes, des Irakiens pour la plupart, dont quelques-uns chargés de suivre les dernières informations venant de leur pays déchiré par des violences confessionnelles et communautaires.

Dans l’un des derniers épisodes, ce sont les déclarations contradictoires des responsables irakiens sur la libération de Mossoul, contrôlée par l’EI depuis un an, qui sont tournées en dérision.

On y voit le Premier ministre irakien, Haider al-Abadi, dire que la bataille "pour la reprise de Mossoul a commencé il y a trois mois". Puis le vice-président Iyad Allaoui affirmer qu’il ne sait "pas quand la bataille de Mossoul va commencer".

"Nous essayons tout simplement de faire rire les Irakiens et leur permettre d’oublier leurs malheurs", explique al-Basheer.

"Le rire est le meilleur moyen pour unir tous les peuples du monde", conclut-il, optimiste.

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