Ahmad Jarba, le Syrien de la dernière chance

Portrait. Le nouveau chef de la Coalition nationale, en visite à Paris, a rencontré hier «Libération». Chef de tribu bédouin, laïc mais proche des Saoudiens, il est surtout un homme de terrain.

Ahmad Jarba, le Syrien de la dernière chance
C’est un homme providentiel qu’attend l’opposition syrienne pour la diriger. Pour plusieurs raisons : le régime vient de remporter des succès militaires importants, les groupes jihadistes ne cessent de progresser sur le terrain, et il lui faut faire oublier la désastreuse présidence du précédent chef de la Coalition nationale de l’opposition, Mouaz al-Khatib. Démissionnaire en mars au prétexte de dénoncer «l’inaction» de la communauté internationale dans le conflit syrien, ce religieux populiste s’était englué dans les querelles internes et prenait ses décisions en solitaire, qu’il faisait ensuite connaître sur Facebook. D’où un long passage à vide de l’opposition, avec, comme conséquence, un discrédit autant sur la scène intérieure qu’internationale.

Alternative. Soit autant de défis que se doit de relever le nouveau chef de la Coalition, Ahmad Assi Jarba, élu le 6 juillet avec comme mission d’incarner l’alternative à Bachar al-Assad. Une alternative qu’il veut démocratique et plurielle. Il l’a assuré, hier à Paris, lors d’une rencontre avec quelques journalistes en marge d’une audition à la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée : «La révolution n’a pas eu lieu pour amener au pouvoir des courants extérieurs. Nous sommes les premiers à en souffrir, avant les pays de la région. L’un des facteurs essentiels qui ont permis leur émergence, c’est la durée de cette crise. Plus elle durera, plus elle les favorisera», a-t-il déclaré à propos du péril jihadiste.

A l’évidence, l’homme, que doit recevoir aujourd’hui François Hollande pour sa première visite ès qualité dans un pays occidental, est atypique. C’est un homme de la Syrie profonde, la province d’Hassaké, où se déroulent depuis une semaine des combats entre Kurdes et groupes jihadistes. Lui-même est un chef bédouin de la puissante confédération tribale des Chammar, dont l’aire s’étend sur cinq pays, notamment l’Irak, l’Arabie Saoudite et la Syrie. Une tribu connue pour son conservatisme – dans le royaume saoudien, elle a fait la guerre dans le passé contre le clan royal des Soudairi, jugé trop moderniste. Mais Jarba a la réputation d’être un laïc convaincu. Il est proche de Michel Kilo, un opposant de gauche historique, qui a fait son entrée début juillet dans la Coalition.

Sa qualité de chef de tribu vaut à ce laïc d’être considéré comme très proche de l’Arabie Saoudite – la mère de l’actuel roi Abdallah est une Chammar. «Il a même ses entrées dans son bureau», indique un diplomate. «En fait, il est surtout très proche des services secrets saoudiens», précise un spécialiste. Sa victoire à la tête de la Coalition est donc aussi celle de Riyad face au candidat des Frères musulmans soutenus par le Qatar.

Avant son élection à la tête de l’opposition, il était chargé du dossier délicat de l’armement de la rébellion. C’est avec l’appui de ces mêmes services saoudiens qu’il a négocié l’achat d’armes dans les surplus croates. Autre point en sa faveur, il est proche du général Sélim Idriss, le chef de l’Armée syrienne libre, qui d’ailleurs l’accompagne lors de son déplacement à Paris. On le dit aussi très francophile – il est chevalier de la Légion d’honneur. «Avec lui, c’est le retour de la réalité du terrain au sein de l’opposition», souligne-t-on de source diplomatique. Mais il lui faudra être politique. Or, les chefs de l’opposition n’ont jamais réussi à ce jour à être à la fois des politiques et des hommes de terrain. «La prochaine étape, a-t-il déclaré lors du même entretien, ce sera la gestion de nos affaires à l’intérieur de la Syrie. Les relations doivent être quotidiennes. Dès le premier jour [après son élection], je suis allé en Syrie et, à l’issue de notre visite en Europe, j’y retournerai, au sud, à l’est, au nord…»

Transition. Il s’est aussi engagé à fournir aux combattants «des armes qui feront la différence» et à annoncer «dans un délai d’un mois un gouvernement provisoire» qui «devra travailler à l’intérieur de la Syrie». Pas de discussions, en revanche, avec des représentants du régime : «C’est un peu prématuré. Nous ne voulons pas de négociations tant que la situation sur le terrain n’est pas très bonne.» On le voit, la rébellion n’est pas en phase ascendante et la conférence dite Genève 2 n’est pas pour demain. Après Paris, Jarba est attendu à New York pour une réunion informelle au Conseil de sécurité des Nations unies, en présence du représentant de la Russie – qui a prononcé trois veto à des résolutions condamnant le régime. Selim Idriss n’y participera pas en raison de la gravité de la situation militaire.

C’est donc un beau succès diplomatique que vient d’engranger Jarba. D’autant que Paris, qui a beaucoup «investi» dans l’opposition depuis sa création, a voulu donner à sa visite une grande importance, témoignant ainsi qu’il croit toujours la Coalition capable de prendre en charge la transition en Syrie. Il faudra maintenant, pour Jarba, régler l’épineuse question des fournitures d’armes occidentales, toujours aussi floue, et, autre défi, s’imposer en Syrie même. Ce ne sont pas les moindres.

Par Jean-Pierre Perrin

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